Les 1er et 2 novembre prochains est prévu un sommet arabe à Alger. Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, fait déjà montre d'un grand optimisme. Mardi dernier, au Caire, il a ainsi déclaré que son pays était prêt. Il a aussi fait part de sa «grande satisfaction du niveau d'adhésion exprimé par les Etats arabes, en vue de contribuer à la réussite de ce rendez-vous». Le Secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Abou Gheit, a tempéré cette appréciation en formulant son «vœu»: voir ce Sommet constituer un «tournant décisif» dans l'action arabe commune et «consacrer l'unité et la cohésion».
Cela dit, il importe sans doute de revenir aux réalités et de faire l'état des lieux de la diplomatie algérienne qui fanfaronne tellement ces temps-ci. En premier lieu, cette question qui peut être dérangeante: le rendez-vous arabe dans sept semaines aura-t-il lieu? Dans le contexte international et régional actuel, si peu maîtrisable et soumis à tant d'aléas, cette interrogation est pour le moins légitime. Il faut rappeler en effet que cela fait trois ans qu'il est en instance, sans cesse annoncé puis reporté. Les dirigeants arabes se sont en effet réunis pour la dernière fois en mars 2019 à Tunis. Par suite de la pandémie de Covid-19, les éditions 2020 et 2021 avaient été annulées. Et si le Sommet suivant a été confié à l'Algérie ce n'est ni pour son influence et le rayonnement de sa diplomatie mais pour une raison... d'ordre alphabétique arabe –les cinq premières lettres de l'alphabet arabe sont a, b, t, th et j. Après la Tunisie, et comme aucun Etat membre de la Ligue arabe ne commence par th, c'est le j qui a été retenu -et donc l'Algérie. Le prochain Sommet qui suivra aura lieu à Djibouti, le nom arabe commençant comme pour le pays voisin par j. Alors? Ce n’est pas un exploit comme le proclame la propagande de l’Algérie, qui insiste lourdement en mettant l'accent sur une initiative réussie du président Tebboune...
En novembre dernier, devant la Conférence des ambassadeurs de son pays, Tebboune avait annoncé que «le Sommet de la Ligue arabe se tiendra en Algérie au mois de mars». Cette échéance n'a pas été tenue, et ce pour défaut d'organisation et de mobilisation des pays arabes. Motif invoqué? La pandémie. L'Algérie explique alors qu'elle a aussi préféré cette option du report. Lors de la réunion ministérielle arabe de mars 2022, elle propose la date du 1er novembre laquelle à ses yeux allie la symbolique nationale historique (le début du soulèvement, est le 1er novembre du FLN) et la solidarité arabe face à l'occupation coloniale. Une illustration de ce qu'avait relevé le président français Macron à propos de la «rente mémorielle» du régime algérien, laquelle se mélange en l'occurrence avec les enjeux et les défis du monde arabe.
En tout état de cause, les mêmes hypothèques pèsent toujours sur ce Sommet arabe que ce soit en mars dernier ou en novembre prochain. Les généraux se présentent comme pratiquement les soutiens les plus mobilisés pour la cause palestinienne. Début décembre dernier, le président Tebboune a annoncé l'octroi d'une aide de 100 millions de dollars à l'Autorité palestinienne, à l'occasion de la visite à Alger de son président Mahmoud Abbas. Il a déclaré en même temps qu'il entendait placer cette cause au cœur du Sommet arabe prévu.
Dans un autre domaine, Alger s'active pour réintégrer la Syrie au sein de la Ligue arabe après sa suspension à la fin 2011 en signe de protestation contre la répression de l'opposition par le régime de Bachar el-Assad. Cette question est posée depuis 2019 et elle nécessite un consensus des Etats membres.
L'ordre du jour du prochain Sommet vient d'écarter ce retour de Damas. Pourquoi? Parce des Etats estiment que les conditions politiques en Syrie ne poussent pas dans ce sens. Si bien que ministre syrien des Affaires étrangères a fait part à son homologue algérien, lors d'un entretien téléphonique dimanche 4 septembre dernier, que son pays préfère que la reprise de son siège au sein de la Ligue des Etats arabes «ne soit pas soulevée» lors du prochain Sommet d'Alger. Où est le consensus arabe? N'est-ce-pas là un échec patent de l'Algérie qui s'était beaucoup mobilisée dans ce sens? Damas a expliqué à cet égard son «souci de contribuer à la consolidation de l'unité des rangs arabes face aux défis imposés par les développements actuels au double plan régional et international».
Autre interrogation: les rapports actuels entre Le Caire et Alger. Le président Al-Sissi a reçu une invitation officielle remise par le ministre algérien des Affaires étrangères, le mardi 6 septembre. Le Chef d'Etat égyptien a répondu qu'il allait «participer aux efforts du président algérien pour le succès du Sommet» mais sans aller jusqu'à confirmer sa présence. C’est que l'Algérie a resserré ses liens avec l'Ethiopie ces dernières domaines. Le 5 juillet, lors du 60e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, il faut rappeler que la présidente éthiopienne, Sahle-Work Zewde, avait pris part aux célébrations et entamé une visite d'Etat de trois jours. Et l'Algérie avait alors reconnu le «plein droit de l'Ethiopie à développer ses ressources naturelles». Elle a reçu aussi le Premier ministre, Abiy Ahmed, les 28 et 29 août derniers. Un acte qui a été très mal accueilli par l'Egypte en bute -comme le Soudan d'ailleurs- à des relations conflictuelles avec Addis Abeba à cause de la captation des eaux du Nil autour du barrage la Renaissance (Annahda). Un grave contentieux donc, qui nourrit les plus vives inquiétudes dans la région.
Il faut enfin évoquer les relations entre Alger et Rabat. Le Maroc doit recevoir une invitation portée par le ministre algérien de la justice, Abderrachid Tabi, après l'Arabie Saoudite et la Jordanie. Quelle sera la suite donnée à cette invitation? Et le cas échéant, quel sera le niveau de la représentation du Royaume? Les relations ont été rompues en août dernier à l'initiative d'Alger. Les frontières sont fermées depuis août 1994; les liaisons aériennes aussi, depuis un an. Et puis, il y tout le reste: l'hostilité continue et croissante de la junte des généraux et la mobilisation de leur diplomatie à l'endroit de la cause nationale.
Comment un tel Sommet arabe, en Algérie, peut-il invoquer le rapprochement unitaire des pays arabes? L'Algérie additionne les échecs à cet égard alors qu'une dynamique particulière marque l'action diplomatique du Royaume avec des avancées majeures, des acquis et une appréhension largement positive de la majorité des membres de la communauté internationale. Le mardi 6 septembre dernier, Nasser Bourita a fait le bon constat de la situation: le prochain Sommet arabe doit se tenir «sur la base d'un engagement de responsabilité, loin des de tous calculs étriqués ou de logique dépassée, en consolidant la confiance nécessaire et en respectant les rôles de chaque partie». En l'état, l'Algérie nourrit la division en escomptant un retour à bon compte pour tenter de se donner une visibilité internationale. Peine perdue: en tout état de cause, ce Sommet (s'il se réunit) le sera pour rien...