Pétrole, matières premières… De tous les spectres des pénuries, c’est sans doute celle de l’eau qui reste la plus effroyable.
Au centre des préoccupations aujourd’hui, en raison du stress hydrique, figurent les questions de l’approvisionnement en eau potable et la rationalisation par le développement d’alternatives écoresponsables.
Je laisse les questions techniques aux spécialistes et reste dans mon élément par un survol historique et toponymique tiré de mes recherches sur le sujet pour dire autrement l’importance vitale de cette source de vie, préalable à tout regroupement humain.
Un nombre considérable de villes sont naturellement bâties au bord de fleuves au point que leurs appellations soient associées contre vents et marées à travers les siècles.
Un des premiers comptoirs phéniciens au Maroc, fondé au XIIe siècle av. J.-C., était Lixus, dont le nom fut aussi transcrit Lixs, en référence à la rivière, plus connue aujourd’hui sous l’appellation Loukkos; alors que sur l’autre rive du fleuve, à son embouchure sur l’Atlantique, fut bâtie Al-Arâich (Larache).
L’antique Chellah, considérée comme la plus ancienne agglomération humaine à l'embouchure du Bou-Regreg, est décrite pour la première fois par Pline l'Ancien sous la forme Sala, une petite ville située sur le fleuve Sala, «à cinquante milles du Sububus» (soit, le Sebou, «le Nil du Maghreb», près duquel se trouvaient les antiques cités de Banasa et de Thamusida).
Plus au Sud, Oued Massa, évoqué depuis l’Antiquité par le général et historien Polybe ou par le savant grec Ptolémée, laisse son nom à la ville de Massa, dite alors Masates ou Massast.
Un nom rapproché aisément des toponymes Talmest, Guemassa, Sijilmassa, dans un rappel à la présence de l’eau.
Dans ce même univers, Assa est un nom berbère donné comme synonyme de cavité et d’oued étroit. Son noyau est un ksar, appelé Tesset, qui le doit, nous dit l’ethnologue Odette du Puigaudeau, à oued Assa «qui entaille brutalement une immense plaine désertique…».
Toujours dans cette région, le Noun, appelé aussi Noul, désigne une rivière, une région et une ville mythique, Noun-Lamta, identifiée à l’actuelle Asrir. Ce fut un grand pôle de commerce recevant les produits sahariens, demeurant fidèle aux Almoravides pour connaître une forte répression de la part des Almohades, prélude à son déclin...
Ourika est d’abord le nom d’une tribu et de la rivière qui coule sur ses terres qui a permis l’essor d’une cité prospère, nommée Aghmat Ourika, capitale d’une principauté Zenata, puis premier siège des Almoravides sahariens avant la fondation de Marrakech.
Taourirt de l’Oriental, dont le nom signifie colline en berbère, est située sur la rive gauche d’oued Za, affluent de la Moulouya. Pour cette raison, elle porte souvent le nom de la Ville du Sâ’ dans les sources médiévales.
La présence de l’eau n’a pu être que déterminante également dans la fondation au VIIIe siècle dans le Rif du royaume de Nekour, dont la capitale fut placée entre les rivières Ghis et Nekour.
Par ailleurs qu’aurait-été la ville de Fès sans la rivière sur les bords de laquelle furent érigées la Rive des Andalous et la Rive des Kairouanais?
Au Moyen Age, il y avait d’ailleurs tout lieu de parler de deux villes plutôt que d’une, ceintes chacune de ses remparts, séparées par «une rivière très rapide qui fait tourner des moulins, et que l’on traverse au moyen de ponts» selon la description du géographe andalou al-Bakri.
La liste est interminable avec Azemmour (en berbère, olivier), ses fertiles plaines et sa rivière aux défunts aloses; Oued Amlil, la Rivière Blanche qui doit son nom à cet affluent de la rive droite d’oued Innanouen; Akka, fleuve et palmeraie de la province de Tata; Safi dont l’étymologie serait dérivée d’Assif, cours d’eau; tandis que le professeur Bennasser Oussikoum définit pour sa part l’Asafi comme la «partie terminale d’un cours d’eau qui se jette dans la mer».
La ville est en tous cas traversée par un oued (appelé Chaâba) alors que des équivalences du nom se retrouvent dans la toponymie avec les mots Tensift qui en est la forme diminutive, célèbre notamment dans le Haouz et Guercif (initialement aguer-sif), c’est-à-dire, en langue berbère «entre torrents» en raison de l’emplacement de la ville entre le fleuve Moulouya et son affluent le Melellou.
Dans ce même ordre d’idées, plusieurs forteresses et noyaux de cités furent bâties dans des zones stratégiques, près d’une rivière ou d’une source.
Celle qui allait devenir Kasbat Tadla est fondée par le sultan Moulay Ismaïl sur la rive droite de l’Oum-Rbia et dotée d’une garnison afin de surveiller la traversée du fleuve et par là, la voie de communication entre le Nord et le Sud.
Sur la rive gauche du fleuve Sebou cette fois, et afin de sécuriser ce passage situé sur Triq Soltane, Route royale menant de Meknès à Salé, une kasbah fut construite, noyau de la ville de Kenitra (littéralement en arabe, petit pont).
On doit d’ailleurs au monarque ismaélien un nombre impressionnant de forteresses dont Selouane dans le Rif oriental, érigée sur la rive gauche de l’oued éponyme en même temps qu’il bâtissait Aïn Erreggada et El-Aïoun-Sidi-Mellouk.
Les sources et autres points d’eau ne sont donc évidemment pas en reste dans la toponymie, liées à un nombre incroyable de localités qu’il s’agisse de la forme arabe aïn (donnant Aïn Beni Mathar, Aïn Chaïr, Aïn Cheggag, Aïn Leuh, Aïn Taoujdate…) ou plurielle Oyoun comme c’est le cas pour la célèbre ville du Sud (Laâyoun) nommée ainsi grâce à la présence de sources sur la rive gauche de l’oued Saguia El Hamra.
Les mots berbères relatifs à l’eau (amane, d’où les noms Boulemane, Tamsamane, Gueldamane…), restent toutefois largement plus importants dans la toponymie.
Exemples: Tit, au pluriel Tiout (de là, Tittaouen, devenue Tétouan); Aghbal (avec les variantes Aghbala, Aghbalou…); Aguelmim (étang), Temda (marais), Anou/Tanout (puits)…
Sans oublier quelques étranges juxtapositions mêlant arabe et berbère donnant par exemple la forme pléonastique Aïn Aghbal soit «Source de la source».
Bref, rien que dans la ville de Casablanca et sa région, un nombre important de sources survit encore dans la toponymie, telles Aïn Diab, Aïn Sbaâ, Aïn Mazi, Aïn Chok, Aïn el-Borja, Aïn Harrouda, Tit Mellil, Aïn Gueddid.
Une question s’impose alors: que deviennent-elles toutes?
Car en plus du stress hydrique, il y a forcément la gestion.
Paradoxes notables en ce sens entre noms évocateurs et réalité : les douars proches de Aïn Sbit souffrent en ce moment d’accès à l’eau ; tandis que la localité de Sabaâ Aïyoun (Sept sources), riche de son réseau hydrographique composé de trois rivières, s’était vu implanter il y a quelques années, à proximité de l’axe routier le reliant à El-Hajeb, une décharge publique non contrôlée -appelée, il fallait oser «Sabaâ Aïyoun»! -recevant des tonnes de déchets avec toutes les nuisances que cela représente et tous les risques de pollution de la nappe phréatique à laquelle elle doit non seulement l’appellation, mais surtout, la vie.