Au mois d’avril 1943, Ahmed Balafrej qui venait de rentrer d’exil regroupa les divers courants nationalistes au sein de l’Istiqlal. Le 13 janvier 1944, le sultan Sidi Mohammed ben Youssef prit fait et cause pour le mouvement dont le manifeste demandant la fin du Protectorat avait été rendu public deux jours plus tôt, le 11 janvier, et il désigna trois négociateurs afin d’entamer des discussions avec le Résident général Puaux.
Les autorités françaises d’Alger étant opposées à tout compromis, de violentes émeutes éclatèrent au mois de février, notamment à Fès et à Rabat. Le général Leclerc les réprima avec une grande vigueur. Puis, le 10 avril 1947, dans un discours prononcé à Tanger, le sultan Sidi Mohammed ben Youssef fit clairement siennes les revendications de l’Istiqlal.
Dès le début de son règne, en 1927, le souverain avait compris que l'urgence politique était la sauvegarde de l'unité et de l'identité marocaines. En d'autres termes, il devait, comme l'écrivit Moulay Ahmed Alaoui, «(…) contenir le Protectorat dans ses limites puisqu'il avait permis de sauvegarder l'essentiel, c'est-à-dire, la souveraineté nationale et la monarchie. Il fallait contraindre l'administration coloniale à respecter ce cadre juridique et préserver tout ce qui pouvait l'être. Et en particulier, il s'agissait de défendre les prérogatives royales affirmées par le traité de Fès et veiller à ce que rien ne vienne entamer l'autorité royale ainsi maintenue. Il s'agissait donc de veiller à maintenir la personnalité internationale du Maroc, bref à tout faire pour que le Protectorat ne devienne pas une simple colonie». (Le Matin du Sahara, 18 novembre 1991).
La tension ne cessa donc plus d’augmenter entre le Sultan et la Résidence de France. Comme le nationalisme marocain était incarné par le souverain, c’est contre lui, donc contre la monarchie, que porta la contre-offensive française, soit l’opposé de la politique suivie par le maréchal Lyautey…
La crise fut à son paroxysme durant l’été 1953, sous le ministère Laniel, quand, largement «inspirée» par la Résidence de France, une «pétition» de chefs de tribus demanda la destitution du souverain, «inféodé à des partis illégaux», comprendre l’Istiqlal.
De fait, le 15 août, sa dignité de chef religieux (Imam), lui fut retirée au profit d’un de ses vieux cousins, Sidi Mohammed Ben Arafa. Le 20 août, le général Guillaume, qui avait remplacé le général Juin comme Résident, entérina le fait accompli1.
Sidi Mohammed ben Youssef fut alors déporté en Corse, puis à Madagascar.
Cependant, sa déposition, faite en totale infraction au Traité de Fès du 30 mars 1912, lui donna au contraire une dimension considérable, qui servit d’amplificateur aux revendications nationalistes.
La situation, qui paraissait bloquée, fut cependant dénouée en moins de trois mois, du 20 août au 6 novembre 1955, à la suite de la Conférence Franco-Marocaine d’Aix les Bains.
Pour les Marocains, le départ de Ben Arafa était un préalable, car Mohammed Ben Youssef était à l’évidence le Sultan légitime. Cela fut accepté par la partie française au cours du Conseil des Ministres français des 28 et 29 août 1955.
Au nom du gouvernement Pinay, ces propositions furent ensuite soumises à l’approbation formelle de Sidi Mohammed Ben Youssef à Madagascar, où il était en résidence surveillée, par une délégation composée du général Catroux et de son directeur de cabinet, Henri Yrissou.
Au Maroc, le général Boyer de Latour succéda à Gilbert Grandval comme Résident général. Le 1er octobre, Sidi Mohammed Ben Arafa se retira à Tanger, après avoir officiellement invité tous les Marocains au ralliement à la personne du Sultan Sidi Mohammed Ben Youssef.
Le 15 février 1956, débutèrent les négociations entre le sultan Mohammed Ben Youssef et le président Coty, puis, le 2 mars, la France reconnût l’indépendance du Maroc par la signature d’une déclaration commune mettant fin au Protectorat.
Le 15 août 1957, afin de bien marquer la rupture avec l’ancien Maroc, et pour renforcer encore l’institution monarchique, Mohammed Ben Youssef abandonna le titre de Sultan pour prendre celui de Roi, et il choisit comme nom de règne celui de Mohammed V.
_____________1L’Espagne qui avait été tenue dans l’ignorance de la déposition du Sultan, continua à regarder Sidi Mohammed ben Youssef comme le seul souverain légitime.