On appelle «le coussin de la belle-mère» un grand cactus avec de grosses épines!
Lahma, la’douza ou la’gouza, tamyart… Dans toutes les cultures elle est caricaturée, victime de clichés. On ne parle jamais du beau-père car il n’entre pas en rivalité avec la bru.
Quand je demande aux jeunes filles, rurales et citadines, quel est leur type de mari idéal, elles répondent toutes: «Qu’il ne me fasse pas vivre avec sa mère!» Un changement radical. La famille élargie disparait en faveur de foyers nucléaires.
Traditionnellement, le fils marié doit vivre chez ses parents. Son épouse doit se soumettre à sa belle-famille, sinon elle est chassée.
Aujourd’hui, les hommes rêvent de attikare (distance) vis-à-vis de la famille et la belle-famille.
Rarement la cohabitation avec la belle-famille est un choix de l’épouse. Les belles-sœurs sont redoutées, perçues comme jalouses et de dangereuses rivales. Alloussa soussa walaou qad namoussa (la belle-sœur est une carie, même si elle a la taille d’un moustique). Dans certaines régions, quand l’enfant étouffe, on lui tapote le dos en disant: hlale, tachrague ‘âmtake khite bouke (que ta tante paternelle étouffe).
De rares épouses choisissent de cohabiter avec la belle-mère. Naima, 24 ans: «Je vis dans une villa avec une femme de ménage et ma belle-mère comme nurse pour mes enfants. Mon mari est fils unique et sa mère me gâte pour le garder sous son toit. Avec nos salaires, nous n’aurions pas ce luxe.» Un choix souvent forcé. Wahiba: «Je travaille et je suis dépassée par la charge du foyer et des enfants. Je vis chez mes beaux-parents pour m’en sortir.»
Les couples qui cohabitent avec la belle-mère y sont contraints.
A la campagne, la mère cherche une aide-ménagère. Le critère du choix de l’épouse du fils est lahdaga (travailleuse) et rasse mahni (soumise). Souvent, le mari travaille en ville, mais son épouse reste au bled avec sa belle-mère.
En ville, la majorité des hommes ne peut louer ou acheter un logement. Ce qui retarde l’âge du mariage, brise les rêves des jeunes filles et les projets nuptiaux. Les parents des filles exigent le logement indépendant. Parfois, le prétendant promet de vivre avec sa mère le temps d’acquérir un logement. Le provisoire dure et provoque le divorce.
Souvent, le mari prend en charge intégralement ou partiellement ses parents et ne peut entretenir deux foyers. Prendre en charge ses parents est une valeur humaine, une obligation culturelle et religieuse. La mère qui veut garder son fils avec elle peut lui faire du chantage: choisir son sakhte (malédiction) ou son er-rda (bénédiction).
La belle-mère est diabolisée. La bru est méfiante vis-à-vis d’une femme qui ne peut être qu’une ennemie, avant même de la connaitre.
La mère, elle, peine à couper le cordon ombilical avec son fils, surtout si elle a été veuve ou divorcée et a porté toute son attention sur lui. Elle aura du mal à le partager avec la bru. Adulte, il devient walde m-mou (fils à maman) et peine à gérer les deux femmes de sa vie.
Une bataille déclarée ou tacite s’instaure entre belle-mère et bru, chacune cherchant le pouvoir et l’influence l’une sur le fils, l’autre sur l’époux. L’une cherche à garder sa place auprès du fils et l’autre cherche à gagner de la place auprès du mari qui devient un ballon entre les deux femmes. S’il rentre dans le jeu, il est assailli par les plaintes: «Ta mère…» «Ta femme…»
Le fils ramène une étrangère qui doit se soumettre à un ordre, différent de celui dans lequel elle a été élevée. Chacune cherche à imposer son référentiel au lieu de trouver des compromis.
La différence est parfois liée au profil: la belle-mère traditionnelle, analphabète, face à une bru moderne. Omar, 33 ans: «Mon ex-femme n’a jamais accepté ma mère qui est tatouée. Elle disait qu’elle lui faisait honte.»
Le profil des brus, générations connectées, choque les belles-mères. Les brus s’imposent, se révoltent. Les belles-mères sont indignées car leurs conseils ne sont plus écoutés.
Les épouses manquent de liberté: «Je suis épiée, critiquée.» «Je mange ce qu’elle décide.» «Je ne peux recevoir sans qu’elle s’incruste.»
Quand l’espace est petit, c’est le calvaire: «La télévision est allumée toute la journée! J’en ai marre des films turcs! Si je regarde un film en français, elle boude et je dois lui traduire les paroles.» Si la femme travaille, elle ne peut s’isoler pour se reposer.
L’éducation des enfants, une source de divergence: «Ma belle-mère leur inculque des valeurs différentes des miennes. Ils souffrent de paradoxes qui brouillent leurs repères.»
Il n’est pas rare que le couple dorme dans la chambre unique avec les beaux-parents. Sinon, dans la même pièce que ses enfants. La sexualité est pratiquée à la sauvette, en mode silencieux. S’isoler dans la chambre est hchouma: «Mon mari a honte de me rejoindre tant que sa mère est réveillée. Aucune intimité.»
Et la belle-mère alors? Elle ne choisit pas toujours la cohabitation! Que de mères se lamentent: «Vais-je un jour me reposer? Au lieu de vivre paisiblement ma vieillesse, je gère mon fils, sa femme et ses enfants!»
L’idéal serait l’autonomie du couple. Mais la réalité est autre, comme le dit Faïza, 38 ans: «Dieu maudisse azzalte (pauvreté) qui te casse les ailes et brise tes rêves de bonheur conjugal.»
Il y a des belles-mères épouvantables, comme il y a des brus abominables. Mais avec du respect mutuel et de la bonne intention, la cohabitation est moins conflictuelle, peut-être même harmonieuse, pour l’équilibre de la famille, du couple et des enfants.