Une Marocaine, colonel dans les Forces armées royales: «mon père est décédé il y a 14 ans, nous laissant la maison où nous habitions. Nous sommes six filles. Sans garçon, il a fallu ta’cib: mes oncles et tantes. Nous voulions leur donner leur part, mais ils voulaient plus que le prix réel. Du vivant de ma mère, nous leur versions un loyer pour la maison payée par mon père et par les bijoux de ma mère! Une tante a perdu sa fille. Ses petits-enfants sont devenus ses héritiers. A son décès, ses enfants et ses petits-enfants ont hérité avec nous! Un cousin est décédé. Son épouse et ses enfants sont devenus héritiers. Nos cousins ont déposé une plainte pour vendre la maison! Mais il faut l’accord de 45 héritiers, dont certains à l’étranger, qu’on ne connaît même pas! Quelle hogra! Moi, colonel, ma sœur a été ambassadeur du Maroc! Et on nous impose des hommes pour hériter!»
Miloud: «mes beaux-frères sont riches, pas nous. Ils étaient fâchés avec leur sœur qu’ils n’ont pas vue pendant dix ans. Après son décès, ils nous ont dépouillés, terrorisés, mes quatre filles et moi. C’est haram!»
Radia: «à la mort de mon mari, son frère a hérité de parts dans notre maison. A son décès, ses quatre fils en ont hérité. Nous n’avions pas d’argent à leur donner. L’un d’eux s’est installé de force chez nous. Il se drogue. J’ai peur pour mes filles. Au commissariat, on m’a dit d’aller au tribunal. Je n’ai pas d’argent!»
Mehdi: «ma femme n’a eu que des filles. Ses sœurs ont hérité, mais sans frères, ses cousins paternels sont entrés: 16 héritiers! Suite à leur plainte, le tribunal a vendu la maison, nous jetant à la rue. Une fois les taxes payées, je n’ai pas pu acheter un logement. Les héritiers disent que Dieu leur a fait un don. Le refuser serait haram!»
Miriam: «ma mère m’a laissé un bout de terrain dans lequel je vis à la campagne. Je n’ai pas de frère, mes 6 oncles paternels sont décédés. Ils ont 36 fils qui ont a’accab. Je n’en connais que 4. Certains sont morts et leurs enfants deviennent héritiers. 71 héritiers pour moins d’un hectare! Certains vivent en Italie, France, Belgique. Deux d’entre eux sont introuvables. L’héritage est bloqué».
A-t-on besoin d’un commentaire après ces témoignages poignants et ceux publiés dans Le360, le 25 juin 2022?
Une femme ne peut hériter sans homme. Ta’cib vient de accab (agnat) qui signifie «nerf viril». Les accab sont les héritiers mâles, parents par les mâles.
Si un homme ou une femme n’a eu que des filles, ses frères et sœurs héritent du quart de son patrimoine. S’il n’a que des sœurs, elles, mais avec des oncles, sinon les fils des frères, sinon les cousins paternels... Ces héritiers ont leurs parts également dans la moto ou la voiture, dans le contenu de la maison, sauf si le veuf ou la veuve a des factures en son nom! Ils violent l’intimité de la famille, sans pitié. Ils refusent des ventes, choisissent ce qu’ils désirent, exigent un loyer quand la maison n’est pas vendue… Un drame, cautionné par la loi!
Et qu’on arrête de dire que l’héritage est une affaire de riches: ce sont les pauvres qui souffrent.
S’il n’y a pas de accab, l’Etat devient héritier après une longue procédure. En attendant, tout est bloqué.
L’héritage a été établi par le Coran, il y a quatorze siècles. Les femmes n’héritaient pas et étaient elles-mêmes héritées. Selon le Coran, l’homme doit entretenir les femmes de sa famille. Il n’a pas droit aux revenus de l’épouse. Or, les filles travaillent pour leurs parents et frères et sœurs, les épouses pour l’époux. Un foyer sur six est entretenu exclusivement par une femme: cela concerne cinq millions de Marocains.
Orphelines, veuves et divorcées ne sont plus entretenues par les frères, oncles ou cousins.
Les rurales sont les plus lésées.
Mbarka: «après le décès de mon mari, mes cinq filles et moi sommes otages de mes beaux-frères. Si je revendique mes droits, ils menacent de me chasser et de garder mes filles».
Sont-ce là les recommandations coraniques?
Certains parents mettent la maison au nom de leurs filles. Mais c’est difficile, car les banques refusent d’accorder un crédit aux filles. Une fois le bien payé, il faut le vendre aux filles. Mais il faut payer des taxes élevées, comme toute vente, et des frais de notaire.
Les parents utilisent al hiyales, des subterfuges légaux: el hiba, la donation, qui passe par le notaire. Il faut payer les frais d’enregistrement (1% de la valeur du bien) et la conservation foncière (1%), plus les frais du notaire.
Peu de parents le peuvent. Les parents peuvent garder l’usufruit: le bien ne peut être vendu qu’après leur décès. Le testament en faveur des héritiers légaux (al wassya), a été interdit non pas par le Coran, mais par le fiqh.
Le adoul peut établir un acte stipulant que le contenu de la maison (al mahouad) appartient aux filles.
Mais le discours religieux terrorise les parents: «les donations sont un péché».
Or, du vivant de la personne, ses biens s’appellent patrimoine et non pas héritage. Le patrimoine devient héritage au décès!
L’abrogation du ta’cib devient urgente et impérative. La situation des femmes a changé et on doit réadapter certaines pratiques. Mais les oulémas et l’opinion publique, y compris des femmes, disent qu’on ne doit pas toucher au Coran. Or ta’cib n’a pas été dicté par le Coran.
Même si c’était le cas, on ne coupe plus la main du voleur. Pour le ramadan, les oulémas ont décrété que le mode de voyage a changé et que le jeûne pouvait être interrompu au-delà d’une heure de voyage. La loi du Talion a été interdite.
Enfin, selon le Coran, l’homme doit entretenir sa femme. Pourtant, les Marocains les plus pieux accueillent avec plaisir l’argent des femmes!
Ta’cib est de fait une discrimination majeure à l’égard des femmes et des orphelines, et s’oppose à la Constitution. Il doit être abrogé et qu’on arrête de se servir de Dieu pour justifier ces injustices.