Il fut un temps où la planète appartenait à tous. Petit à petit, la mobilité s’est rétrécie. Les pays développés ont imposé les visas à cause de l’immigration clandestine. Réguler les entrées d’étrangers dont un faible pourcentage peut devenir clandestin est légitime. Mais fermer la porte à tous les visiteurs de bonne foi est inacceptable.
D’autant que certains de ces pays sont entrés dans ceux des demandeurs de visas par force, avec armées et arsenal militaire, les dépouillant de leur richesse. Si eux l’ont oublié, les peuples anciennement colonisés s’en souviennent. Ce qui amplifie ce sentiment de hogra (injustice) face au refus des visas.
Le durcissement d’octroi de visas aux Marocains par la France est incompréhensible, inacceptable, déplorable.
L’histoire de l’immigration des Marocains en France est ancienne. En 1918, la France comptait 15 000 travailleurs marocains.
Jusqu’aux années 50, les autorités françaises qui gouvernaient le Maroc circulaient dans les villages et les campagnes pour choisir des jeunes hommes forts et les mettre dans des camions, tel du bétail, pour les acheminer en France. Ces muscles ont contribué à construire la France. S’y sont ajoutés de valeureux soldats lors des deux guerres mondiales, dont certains sont morts pour la France.
En 1974, le ralentissement de la croissance économique a poussé la France à offrir l’aide au retour pour encourager ces Marocains à revenir au bled. Mais ils sont restés et ont fait venir leur famille.
L’immigration marocaine en France a continué: des clandestins, mais surtout des personnes qualifiés, diplômés, contribuant grandement à l’économie. Et des champions qui haussent bien haut le drapeau français.
Les Marocains constituent la deuxième communauté d'immigrés en France, après les Algériens: plus d’un million et demi.
Cette population garde des attaches solides avec le bled, y compris la troisième et quatrième générations, nées et élevées en France. Si le retour au bled lors des vacances est sacré, recevoir sa famille en France l’est également. La restriction des visas a créé des frustrations intenses, voire des drames.
Quand on parle de visas Schengen, on pense seulement aux touristes. On oublie les mères et les pères privés de leurs enfants et petit-enfants. On oublie les cas plus tristes où le refus du visa viole les droits de l’Homme et les valeurs humaines.
Les demandeurs de visas sont victimes de maltraitance. De longues heures à surfer sur les sites des TLS, ces centres munis d’un pouvoir dont ils abusent. Adil: «des heures et des heures sur internet. Les sites beuguent. Je remplis les formulaires et tout s’annule au bout de deux ou trois heures. Une souffrance!»
Obtenir un rendez-vous relève du miracle. Les malheurs des uns faisant le bonheur des autres, des intermédiaires se sucrent en toute impunité: le prix a commencé à 500 DH par rendez-vous, pour atteindre 3 000 DH en août! Sans parler des escrocs qui ont fait de nombreuses victimes.
Mais le rendez-vous ne garantit pas le visa: «ma femme et moi avons payé 2.000 DH pour un rendez-vous pour la France. Au TLS, on a rejeté mon dossier car je me suis trompé en cochant une case. J’ai demandé un autre rendez-vous. Refus! Nous avons raté le baptême de notre petit-fils. J’ai payé 3.000 DH à un autre intermédiaire pour un rendez-vous au consulat d’Espagne!»
En laissant cette situation se développer, la France cautionne ces escroqueries!
Le refus des visas par la France a humilié des personnes crédibles: des hommes et des femmes d’affaires, des artistes, des intellectuels, des médecins… qui apportent une plus-value à ce pays et qui sont rejetés tels des malfaiteurs.
Une autre injustice: les frais ne sont pas remboursés en cas de refus. Les demandeurs de visa ne sont pas que des touristes fortunés.
Et que de drames!
Je n’oublierai jamais une tragédie vécue en 2016. Rizlane, 33 ans, vit en Belgique et n’a pas vu ses parents pendant deux ans. Enceinte, on lui découvre un cancer foudroyant. Elle accouche et le mari est tiraillé entre l’épouse hospitalisée et le bébé qui n’a personne pour le garder. Rizlane agonise et réclame sa maman. Pendant 15 jours, je me suis battue auprès du consulat de Belgique à Casablanca pour que ses parents aillent l’embrasser une dernière fois. J’ai présenté tous les documents requis, je me suis portée garante… Rizlane est décédée… sans l’amour de ses parents.
Juin 2022. Khaddouje, 82 ans, a perdu son fils, médecin en France. Elle rêvait de passer le mois d’août avec ses petit-enfants pour atténuer leur douleur. Elle a déboursé 2.500 DH à des intermédiaires sans obtenir de visa.
Juillet 2022. Karima était en vacances en Turquie. Sa mère, au Maroc, jeune et en pleine forme, décède subitement. La sœur de Karima, 28 ans, vivant en France, est atteinte d’un cancer du côlon et doit se faire opérer en septembre. Sa maman devait être à ses côtés. Terrassée par le deuil, Karima veut aller en France auprès de sa sœur. Pas de rendez-vous pour le visa! Pourquoi n’y a-t-il pas de service pour ces cas dramatiques?
Il y a des événements heureux dans lesquels la présence d’êtres chers est indispensable. Kenza: «mes parents ont raté mon mariage. A la mairie, je pleurais!»
Le désaccord qui oppose notre pays à la France sur le rapatriement de ressortissants marocains en situation irrégulière doit être traité au niveau diplomatique et non en pénalisant des citoyens, pris en otages.
Je fais partie des francophones et francophiles marocains peinés par ces injustices qui fragilisent la paix entre les peuples. Le Maroc et la France ont toujours été des bâtisseurs de paix. Puissent-ils le demeurer dans le respect de la dignité humaine!