Je vais vous poser une question de riches, de sournois, de personnes déconnectées, inconséquentes, qui ont dépassé la problématique du prix de l’essence à la pompe: où est-ce que vous comptez passer vos vacances?
Les enfants que nous étions connaissent cette question. Ils connaissent aussi la réponse. Ils répondaient, nous répondions, instinctivement. Au nord! Au sud!
Les vacances, c’était cela. Au nord ou au sud. Il ne pouvait rien se passer au milieu. Évidemment qu’on avait tort, mais là n’est pas la question…
Le nord, c’est Tanger et son «boulibar» (boulevard), ses bocadillos bourrés de «toumatich» (tomates), sa playa ou «pahar» (plage), son cimetière des chiens «chrétiens», ses burgers façon Eric’s (un McDo avant McDo).
Avec, bien sûr, cet inimitable air d’Europe que l’on tentait de capter comme ce fameux parfum du paradis, que l’on nous raconte dans les vieux livres religieux. Et que l’on n’a jamais retrouvé nulle part.
Mais cela suffisait à notre bonheur!
Et puis il y a le sud. C’était autre chose. Le sud, c’est le bled, la montagne ou le désert, les gens humbles, au cœur grand comme ça, qui égorgent la dernière chèvre du cheptel pour faire plaisir à l’hôte, au «’abir sabil (gens de passage)», et refusent d’être payés en retour.
Va au sud, mon grand, et tu deviendras un homme. Va au nord, et tu goûteras aux plaisirs des hommes. C’est ce qu’on nous disait en substance. Alors on partait au sud, au nord, avec la conviction qu’il ne pouvait rien exister de plus beau au monde.
Ce monde, notre monde, était merveilleux. Il s’étendait jusqu’au nord et jusqu’au sud. Mais il était tellement petit et, Dieu merci, nous n’avions aucun moyen de le savoir.
Et puis, plus tard, on a découvert des pays et des terres au nord du nord, et au sud du sud.
Le monde s’est tellement élargi et les possibilités aussi. Avec de l’argent et un visa, on peut aller partout. Enfin, presque!
Aujourd’hui, quand vous demandez: «Et toi alors, c’est le nord ou le sud?», on vous rit au nez. On vous prend pour un pauvre ou un original, c’est-à-dire un demi-fou.
Mais de quel nord et de quel sud parlons-nous?
Un ami m’a dit, le plus sérieusement du monde: «Des vacances où je croise des Marocains, ce n’est pas des vacances!» Alors il part loin. Là où son budget et surtout son visa le permettent.
Pour changer d’air, pour trouver la liberté de faire ce qu’il veut, quand il veut, et un peu par snobisme, il veut éviter le regard de ses compatriotes. N’essayez pas de lui dire qu’il se berce d’illusions, que là où il posera ses valises, il y aura un Marocain qui le repérera de loin et viendra lui demander des nouvelles du bled. Ni qu’il ferait mieux d’aller respirer ce grand air, certes chaud et poussiéreux, qui souffle au nord, au sud ou au milieu du plus beau pays du monde. C’est cause perdue.
La France ne veut pas de lui? Il y a l’Espagne. Si toute l’Europe ferme ses portes, il reste le Portugal (en attendant que nos cousins lusitaniens nous disent non à leur tour). Sinon la Turquie et les douceurs de l’Asie mineure.
Je lui ai demandé: «Mais… tu es sûr de ne pas trouver des Marocains?» Il me répondit avec le sourire: «Ah ça! Le risque existe mais, là-bas au moins, ils seront trop occupés à boire leurs bières!»
Bonnes vacances à tous. Au nord, au sud, au milieu ou ailleurs.