Les journées ramadanesques peuvent paraître bien longues pour beaucoup -je ne parle évidemment pas d'une bonne partie de la gent féminine du pays, pour laquelle le mois sacré représente un invraisemblable surcroît de travail domestique, doublant ou triplant leur peine quotidienne usuelle. Mais ceci est une autre histoire, qui n'est pas notre sujet d'aujourd'hui.
Reprenons. Je suggère aux R’batis -et autres jeûneurs de passage dans la capitale- de s'en aller tromper leur ennui du côté du MMVI (Musée Mohammed VI de l'art moderne et contemporain, pour qui ne le saurait pas encore).
On y rencontre deux très belles expositions, dont les médias se sont déjà fait l'écho, mais ça n'est jamais assez.
Il y a l'exposition hommage à Hassan El Glaoui, ce peintre, récemment décédé, éminemment makhzénien, auquel on a longtemps reproché de se cantonner aux scènes de fantasias et autres "sorties du sultan". Ce qui n'était pas faux. Seulement injuste et réducteur.
Allez voir. C'est élégant. C'est enlevé. Poétique. Nostalgique -de quoi ? Là est la question. C'est du patrimoine. Un patrimoine ambigu, mais un patrimoine assez précieux.
À côté de l'expo Glaoui, il y a celle des impressionnistes. Prêtées par le Musée d'Orsay, la quarantaine d'œuvres (Monet, Renoir, Pissaro, Caillebotte,etc.) accrochées est à couper le souffle.
Étrange, cette impression de voir enfin, en vrai, ces chefs-d’œuvre dont on a, pour beaucoup, vu et revu, mille fois, les reproductions. Dans des livres, mais aussi en posters et sur des boîtes de chocolats...
Au milieu de ces toiles de maîtres, dûment estampillés "impressionnistes", un intrus. Une petite toile signée Delacroix. Pourquoi?
Parce que, bien que catalogué peintre romantique, Delacroix a été considéré, par les impressionnistes eux-mêmes, comme leur précurseur. Mais attention, pas le Delacroix, encore bien classique -quoique bien fougueux- de "La Liberté guidant le peuple". Non, celui d'après ce qu'on appelle sa "période marocaine".
Entre janvier et juillet 1832, Eugène Delacroix, peintre déjà connu et reconnu, fait partie de la délégation du comte de Mornay, dépêché, en mission diplomatique, par la France, auprès du sultan Moulay Abderrahman.
Nous sommes au début du XIXe siècle. La photographie n'est pas encore inventée. A part Tanger, alors capitale diplomatique, l'Empire du Maroc est résolument interdit d'accès aux étrangers, spécifiquement aux chrétiens.
Une mission diplomatique en terre d'Afrique et/ou d'Orient -comme on disait alors- était une occasion unique pour une "reconnaissance" du pays. D'où le principe d'y adjoindre, systématiquement, un artiste peintre. Au même titre qu'il y avait des "peintres de la marine" sur tous les longs courriers de l'époque. La délégation fera Tanger-Meknès-Tanger, avec moult haltes, à cheval et sous bonne garde -une centaine d'hommes armés.
Sauf que Delacroix ne s'intéresse pas tant à la flore et à la faune, encore moins à la topographie. Ce qui l'éblouit, c'est la lumière et les hommes. Et les chevaux.
Les carnets de croquis -il était hors de question de planter son chevalet en terre d'islam-, légendés avec une précision et une poésie rares, que fera Delacroix des personnages et des situations rencontrées chez nous, restent, aujourd'hui encore, une source inépuisable de connaissance de ce Maroc-là, si proche et si lointain.
D'autant que de sources documentaires visuelles, nous n'en n'avions pas produit nous-mêmes, bien évidemment. Nous n'avons pas même de description littéraire de type documentaire! Ni sur les mœurs, encore moins sur les costumes. Nos oulémas d'alors ayant des préoccupations autrement plus nobles...
Plongez-vous dedans. Vous verrez, c'est passionnant, en plus d'être beau. Internet, ça sert à ça, non? Bon ramadan.