Melehi ou l’urgence d’une histoire de l’art marocain

Jamal Boushaba.

Jamal Boushaba. . DR

ChroniqueLes quelques hommages rendus sporadiquement, ça et là, à des artistes marocains, vivants ou morts, pour nécessaires qu'ils soient, ne nous dispensent pas de nous mettre, enfin, à la rédaction de notre histoire de l'art.

Le 22/03/2019 à 11h00

Rabat. Place Pietri. Espace d'art CDG. Une belle et étonnamment nombreuse population -rare mélange d'officiels de haut rang, d'artistes conséquents et de jeunes gens curieux, est venue admirer -et pour beaucoup découvrir- une heureuse sélection de quelques-unes des œuvres les plus emblématiques, jalons retraçant le parcours de l'artiste peintre Mohamed Mekehi, 83 ans. Soit, "60 ans de création et d'innovation", comme le souligne, en toute évidence, l'intitulé de l'événement.

C'est simple, Melehi -on dit Melehi, comme on dit Picasso, Mondrian ou César, en supprimant le prénom- est, aujourd'hui, un des derniers doyens vivants de l'art moderne marocain. Un pionnier, au sens littéral du terme. Jouissant, par bonheur, d'une excellente santé physique, mentale et morale, il est toujours aussi productif. Mais, surtout, il a des choses à nous dire. Des histoires à nous raconter. Des histoires qui font partie de cette histoire de l'art moderne et contemporain marocain, toujours pas écrite. J'y reviendrai. En attendant, à l'adresse de notre lecteur, jeune et/ou néophyte, un trop rapide aperçu des mille et une vies de Melehi.

Né en 1936 à Asilah, dans une famille de grands notables. École des Beaux-arts de Tétouan (1953-1955). Puis, successivement, et selon des durées de formations plus ou moins longues, celles de Séville, de Madrid, de Rome, puis de Paris.

Dans sa prime jeunesse, durant ses fréquents séjours dans le Tanger international de l'époque, il côtoie la fameuse bande d'artistes beatnik ayant fait la légende de la ville du détroit. Il est particulièrement proche de l'écrivain américain Allen Ginsberg et du peintre marocain El Hamri.

A Rome, il épouse, en secondes noces, Toni Mariani, future auteure de textes fondateurs sur l'art moderne marocain. Fille d'une importante galeriste et belle-sœur d'Alberto Moravia, l'immense écrivain existentialiste, elle l'intègre à ce mouvement culturel et mondain romain que le cinéaste Fellini décrira dans son fameux "La Dolce vita". Ils fréquentent cet autre cinéaste et écrivain transgressif, Pier Paolo Pasolini. Cela se passe entre 1960 et 1963.

En 1962, Melehi est assistant enseignant à l'institut des arts de Minneapolis. Bientôt, il s'installe, avec Toni Mariani, dans un loft new-yorkais. Il s'imprègne du mouvement pictural américain du moment, le Hard Edge. Un mouvement qui préconise l'abstraction géométrique la plus dure, à coup de traits simples et d'aplats de couleurs franches, appliquées à la peinture industrielle.

Aujourd'hui encore, et malgré moult évolutions ondulatoires, de forts résidus des principes de ce mouvement sont décelables dans la production de Melehi.

En 1964, l'artiste peintre marocain ayant le plus "vu le monde", rejoint Farid Belkahia et Chebâa, à la tête de d'École des Beaux-arts de Casa. Une nouvelle page de l'art moderne marocain -de mieux en mieux connue- va s'ouvrir.

À l'été 1978, Melehi va initier, avec cet autre Zaïlachi d'excellente famille, Mohamed Benaïssa, le premier festival culturel et artistique international à vocation Sud-Sud -comme on ne disait pas encore: le Moussem culturel d'Asilah, dont les cinq premières éditions, au moins, furent grandioses.

Le but de cette première chronique que je signe pour Le360 n'est évidemment pas de faire la biographie complète et détaillée de la vie d'un des fondateurs majeurs de l'art moderne marocain, dont l'influence sur ses contemporains et successeurs est immense. Ces quelques bribes d'un parcours artistique et personnel mouvementé auraient déjà donné lieu, dans une autre société, à un biopic. Ces sociétés où on aime à glorifier les success-stories. Où on glorifie ses anciens.

La société marocaine postindépendance est une société oublieuse. Une société où le devoir de mémoire est négligé. Il nous faut désormais songer à transmettre à nos enfants leur histoire. Pas simplement celle faite d'une succession de dynasties, de guerres et autres coups d'État. Il faut leur enseigner leur histoire sociale. Et puis la très riche histoire de l'art de leur pays. Une histoire dont on peut légitimement tirer fierté.

Reste à l'écrire.

Par Jamal Boushaba
Le 22/03/2019 à 11h00