Casablanca ne mérite pas son nom. C’est ce qu’on dit. Parce que ses murs ne sont pas blancs. Et même quand ils sont blancs, la crasse les rend noirs, suintant la colère et le roussi.
La noirceur n’est évidemment pas que dans les murs. Elle crée un climat sombre et brutal qui peut rebuter. C’est pour cela que Noureddine Lakhmari, un cinéaste qui nous vient de Safi, a choisi «Casanegra» (2008) pour le titre de son film-hommage à la cité blanche. Il a pris la ville comme elle venait à lui: plus noire que blanche, avec des passants qui lèvent rarement les yeux au ciel pour apprécier l’architecture et cette splendide lumière qui berce la cité.
Que faut-il donc retenir de cette Dar-Beida, le noir ou le blanc? Ce que l’on voit si souvent ou ce que l’on devine parfois?
On l’oublie parfois, mais cette ville a toujours été un laboratoire ouvert à toutes les expérimentations. Elle n’a pas arrêté d’être refaçonnée au fil du temps. Quand on change le plan urbanistique, le «code couleur» ou le style architectural, ce ne sont pas seulement les pierres qui changent, mais les âmes aussi.
«Casablanca, c’est une ville avec beaucoup de sauvagerie, d’agressivité, mais aussi d’amour et d’affection.»
L’énergie extraordinaire qui continue de se dégager de cette ville vient de cette superposition des influences urbanistiques, qui ressemblent à des couches de peinture qui se sont retrouvées les unes sur les autres, sans que l’on sache exactement pourquoi. La même anarchie a marqué son peuplement, avec des populations venues de partout, créant une mosaïque bizarre, très mouvante.
C’est une ville avec beaucoup de sauvagerie, d’agressivité, mais aussi d’amour et d’affection. Dans les milieux populaires, on dit de quelqu’un que l’on aime, alors que l’on ne devrait pas: «Oui, il est violent, il est sauvage, il est même un peu con, mais il a un bon fond, son cœur est blanc». Casablanca est un peu comme ça, une ville noire au cœur blanc.
Personnellement, je suis de près les efforts réels menés par le wali Mhidia et la maire Rmili, engagés dans une course contre la montre ou presque pour donner un semblant de «normalité» à cette cité. Je suis ces efforts avec un mélange d’excitation et de résignation. Le chantier est immense. Derrière le remodelage de quelques lieux incontournables, mais hors du temps (comme le mausolée de Sidi Abderrahmane ou le marché aux puces de Derb Ghallef), et derrière les mille et un projets en cours, dont certains tournent à l’absurde (comme les éternels travaux de rénovation/réfection des mêmes avenues, des mêmes enceintes), ils sont et nous sommes, au final, à la recherche de ce moyen de rendre cette ville un peu plus blanche. Ou un peu moins noire.
Juste un peu, ce serait déjà beaucoup.