La dépression nerveuse est une maladie grave. Très grave. Elle peut mener au suicide. Mais on peut s’en sortir grâce à une prise en charge psychiatrique précoce et continue dans le temps. Nul n’est à l’abri: on peut attraper une dépression nerveuse comme on attrape un cancer ou la grippe. C’est très aléatoire. Certes, il y a des détonateurs qui diffèrent d’une maladie à une autre.
Que peut bien se passer dans la tête d’un malade souffrant d’une dépression nerveuse? Les deux histoires qui suivent sont des témoignages de personnes qui se sont retrouvées dans ce gouffre et qui ont fini par trouver le bout du tunnel. Elles racontent.
Toi? Impossible!Effaré, il s’est affalé sur le fauteuil le plus proche. Toi, tu souffres de dépression! Impossible! Ces mots se sont détachés de sa bouche avec une grosse difficulté.
En me fixant une deuxième fois dans les yeux, il a de nouveau lâché sa phrase. Toi, dépressif… Impossible!
La dernière blague, c’est toi. Les tournures loquaces de tes phrases, c’est un art qui t’est propre. Les histoires coquines de Q, c’est une de tes spécialités. Dans tout sujet sérieux et même très sérieux, tu t’ingénues, sans gêne mais avec subtilité, à distiller une dose d’humour.
Tes réunions sont toujours un vrai régal. Le travail dans la bonne humeur est toujours au rendez-vous.
Les femmes adorent t’écouter. Tes blagues sont très osées. Toujours dans la finesse… Jamais dans la vulgarité.
Quand la situation l’exige, tu remets les gens à leur place sans méchanceté. Et avec le sourire.
Une collègue de travail ramène sa petite fille au bureau. Tu arrives facilement à lui soutirer un sourire.
Lors d’obsèques et de funérailles, tu as toujours une manière pour dérider les visages.
Lors des rencontres familiales, si un rire éclate, on cherche ton cercle restreint. Tu en es l’instigateur, jamais l’exécutant.
Les gens te demandent toujours conseil et partagent souvent des secrets intimes avec toi.
Parfois tes blagues répétitives agacent ton entourage proche.
On te jalouse affectueusement ton joyeux tempérament du matin.
Pour toutes et tous, tu n’es guère le profil d’un dépressif. Certains t’ont même accusé de simulacre. Il faut dire que tu as bien caché ton jeu pendant des années.
Tu jouais et tu déjouais. Tu souffrais en silence. Quelques intimes le savaient.
Comme quoi, la dépression a sa propre trajectoire et personne n’est à l’abri de la croiser sur son chemin. Plusieurs facteurs convergent pour que le volcan se réveille. Plusieurs serrures doivent être défoncées. Mais ce n’est pas une fatalité. On peut vivre avec. On peut réussir des études supérieures. On peut fonder une famille. On peut réaliser ses passions.
On s’en sort toujours. Avec beaucoup de difficultés pour certains. On tombe souvent, mais on finit toujours par se relever.
L’enfer, c’est moiIls n’y sont pour rien. C’est mon énergie négative qui les rend ainsi. Ils veulent exorciser leur faiblesse, en s’attaquant à la mienne.
Le boucher, il me fourgue une côte fêlée. Le khadar (vendeur de légumes), il me glisse une tomate pourrie. Le kharraz ( cordonnier ), il me chausse le mauvais pied.
Moul Bomba (station d’essence), il essuie mon pare-brise, en le salissant davantage. J’accepte et je démarre. Le policier me siffle au feu vert. Il me verbalise comme si j'avais traversé au feu rouge. Bouche-bée, je paie la contravention. Le percepteur, lui, c’est la porte de l’enfer. Je vais tout perdre et je pourrirai en prison. Le vendeur de journaux, il me fait lire l’édition d’hier, en me la vendant pour celle d’aujourd’hui. Pessri (l’épicier), par un tour de passe-passe, il me facture 3000 DH le mois. Pourtant, c’est évident que l'approvisionnement était quasiment quotidien. Mais, je reste soupçonneux.
Le vigile de la résidence ne hoche plus la tête pour me saluer. Le chauffeur de fonction des voisins ne m’interpelle plus par Monsieur. Le garçon de café me laisse poireauter. Et pourtant je ne suis là que depuis 2 mn. Le vendeur des chargeurs de GSM, m’arnaque. Je branche mon téléphone. Aucune chaleur. Moul Zeria (le vendeur de pépites et de cacahuètes) me glisse des zeria avariées. Moul Djaj (vendeur de poulets), me pigeonne. Il me vend un roumi pour un beldi. Moul Hout (vendeur de poissons), dès que j’ouvre le frigo, une odeur nauséabonde se répand. Le gardien des voitures me jette mon 1 dirham à la figure.
Eberlué, je lui tends 5 dirhams, tout en présentant mes excuses. L’office d’électricité me facture le double de la consommation mensuelle habituelle. L’opérateur téléphonique me harcèle. Mon téléphone ne sonne plus. Mais l’opératrice m’appelle pendant mon sommeil. Le péage de l’autoroute, les gendarmes sont au tournant. La caissière d'une grande surface refuse ma carte de crédit. Pourtant, de l’oseille, il y en a. Le cireur des chaussures, il a volontairement tâché mes chaussettes blanches.
Dans le restaurant, le serveur me sert un café sans sous-tasse. Mon compagnon, lui, a eu droit, en plus, à une serviette et du chocolat.
La grand-mère de ma femme est morte, personne ne me présente ses condoléances!
La fille de l’oncle à mon épouse vient d’avoir un bébé, pourquoi on ne me félicite pas?
Tout le monde psalmodie des versets du Saint Coran. Moi, je dévisage les gens. Ils sont sûrement en train de fomenter un complot?
Aussi invraisemblables que ces propos puissent paraître, ce sont là des récits de patients qui étaient sous le joug, un moment ou un autre de leur existence, de la dépression nerveuse.
*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.