Partout dans le monde, la maladie rénale chronique représente un problème majeur de santé publique. En raison de son caractère silencieux et de ses manifestations cliniques non spécifiques et en absence de contrôle continu et de vigilance par rapport à sa santé, une personne peut arriver, sans qu’elle ne s'en rende compte, au stade d’insuffisance rénale chronique ou terminale. Cela implique que le diagnostic peut être retardé jusqu’aux stades avancés de la maladie.
De plus, les implications socio-économiques de la maladie rénale chronique sont importantes, compte tenu des complications qui peuvent survenir et les taux de mortalité associés à la progression vers l’insuffisance rénale chronique terminale, qui correspond à l’arrêt total du fonctionnement des reins.
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Ce qui aggrave davantage cette situation est le fait que cette pathologie rénale expose à un risque cardiovasculaire particulièrement élevé.
Du fait de ces situations maladives lourdes, de nombreux patients présentant une insuffisance rénale chronique auront recours à un traitement de suppléance basé sur des programmes de dialyse et, quand cela est possible, à la transplantation rénale.
Toutes les études mondiales ont prouvé que la prévention, le dépistage précoce et une prise en charge adaptée sont des stratégies efficaces et rentables, notamment dans les pays à ressources limitées, où l’accès au traitement de suppléance est souvent conditionné par des contraintes financières.
Au Maroc, l'importante étude intitulée «Maremar» avait évalué la prévalence de la MRC, à savoir le nombre de cas de cette maladie dans une population à un moment donné, englobant aussi bien les cas nouveaux que les cas anciens, à 5,1% de la population générale.
De plus, il est clair, selon toutes les prévisions, que la MRC est en constante progression dans notre pays, du fait des profondes mutations démographiques (vieillissement, urbanisation, comportements alimentaires, etc. ), ainsi que la recrudescence des facteurs de risque conduisant à la maladie rénale chronique, tels le diabète, l’hypertension artérielle, l’obésité et l’hypercholestérolémie.
Quelle stratégie efficace faut-il alors adopter au Maroc pour juguler l’avancée de la maladie rénale? Vu le nombre limité des médecins néphrologues marocains, qui ne dépasse pas les 500 pour tout le Royaume, il est indispensable d'impliquer le médecin généraliste dans toute stratégie de prévention.
Car les médecins généralistes (MG) représentent les soignants de première ligne dans le système de santé marocain. Ils devraient être suffisamment outillés pour être en mesure de détecter, de prendre en charge et de référer, le cas échéant et au moment opportun, c’est à dire avant l’apparition de complications lourdes voir très lourdes, vers les médecins spécialistes en néphrologie, les patients atteints de maladie rénale chronique (MRC).
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Cette dernière étant définie comme une diminution du fonctionnement des reins qui ne filtrent plus correctement le sang de l’organisme. On la qualifie d’insuffisance rénale chronique, qui peut se compliquer sur des années, pour arriver à l'insuffisance rénale totale, nécessitant la dialyse rénale, sinon c’est la mort.
Pour avoir des donnés scientifiques qualitatives et quantitatives sur la capacité des médecins généralistes marocains à faire face à la maladie rénale, une étude récente, menée par l’équipe du service de néphrologie du CHU Mohamed V d’Oujda et celle du laboratoire d'Épidémiologie, de recherche clinique et santé publique de la Faculté de Médecine et de Pharmacie de l’Université Mohammed 1er d’Oujda et publié dans la revue Marocaine de Néphrologie de juillet-août 2021, a évalué les connaissances du médecin généraliste marocain relatives à la maladie rénale chronique (MRC).
L’étude a concerné les médecins généralistes exerçant dans la préfecture d’Oujda-Angad. Elle s’est déroulée entre septembre et décembre 2019. L’âge moyen des MG était compris entre 31 et 53 ans. 59% étaient des femmes. L’ancienneté moyenne d’exercice de la médecine générale varie entre 5 et 23 ans.
Le principal résultat de cette étude est que 52,63 % des médecins participants à cette étude avaient des connaissances insuffisantes en matière de maladie rénale chronique.
Moins de la moitié des médecins interrogés connaissaient la définition correcte de la MRC. Seulement 29,61% savaient que la maladie rénale chronique est classée en cinq stades.
Par ailleurs, l’étude a montré qu’en dehors du diabète et de l’hypertension artérielle, les autres facteurs de risque qui peuvent favoriser l’apparition de la maladie rénale chronique n’étaient identifiés que par 38,5% des médecins généralistes.
Pour une autre technique de dialyse, qui est très développée dans plusieurs pays du monde et ne l’est pas chez nous, à savoir la dialyse péritonéale, seuls 39,4% connaissent son existence.
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Au vu des insuffisances graves des connaissances du médecin généraliste marocain relevées par cette étude, la principale conclusion est l’urgence impérative d’entamer un programme de formation continue ciblant les médecins généralistes marocains, des secteurs public, privé et militaire, sur la maladie rénale chronique.
Il faut préciser qu’actuellement plus 30.000 Marocains sont sous dialyse rénale et que les projections de la société marocaine de néphrologie parlent de 50.000 Marocains dans les années à venir. Un chiffre qui risque de grever n’importe quel système de remboursement des soins et peut hypothéquer le projet de la généralisation de l’assurance-maladie sur lequel mise le Maroc.
*Le Dr Anwar Cherkaoui est médecin. Lauréat du cycle supérieur de l'Iscae, il a été, trente années durant, le responsable de la communication médicale du CHU Ibn Sina de Rabat.