À l’instar d’autres grandes villes du pays, Tanger vient de refaire ses trottoirs et certaines places, notamment le fameux «Sour el Maâgazine» avec ses canons dirigés vers l’ancien port. Au loin, on peut voir, par temps clair, les côtes espagnoles.
La médina a refait sa toilette. La marina est devenue le lieu le plus prisé par les habitants ainsi que par les touristes. La ville a embelli, mais, comme au cinéma, il y a l’envers du décor.
Je prends souvent la route menant vers Les Grottes d’Hercule. Je passe par un raccourci qui traverse la forêt de Rherah.
Sur la gauche en montant, il y a un amas de maisons, apparemment des habitations qui auraient pour but d’éliminer les bidonvilles. Je ne sais pas comment cet assemblage de maisons s’est fait. Qui a autorisé ces constructions anarchiques? Le plus grave, c’est l’absence d’arbres. Cette région était boisée. Aujourd’hui, il n’y plus aucun arbre. Les murs se rapprochent les uns des autres, sans logique, sans aucun espace vert. Je me souviens avoir vu une grande pancarte dans un pays du Golfe où il est écrit en plusieurs langues ceci: «Celui qui abat un arbre sera condamné à vingt ans de prison».
Si on appliquait cette loi, les prisons seraient vite surpeuplées.
En fait, l’ensemble constitue une nouvelle ville. On l’appelle Tanger, mais c’est une erreur. Là, il y a des quartiers où on ne retrouve rien d’une ville rationnelle. Les autorités ont fermé les yeux. Elles ont laissé faire et puis personne ne proteste.
Ville dortoir, ville sèche, sans rien pour respirer, ville surgie de la terre comme une mauvaise herbe, des champignons vénéneux.
On sait que le Marocain tient à avoir sa maison, même petite, même sans espace vert, même avec un voisinage toxique. Est-ce une raison pour ne pas penser ce problème, pour laisser les choses en l’état jusqu’au jour où, à cause de pluies fortes, des constructions s’écroulent sur leurs occupants?
Tanger n’est pas la seule à souffrir de cette obésité dans ses grandes banlieues. D’autres villes, Casa, notamment, connaissent ce problème qu’on ne pose pas pour ne pas déranger un désordre qui convient apparemment à tout le monde.
2—
Tanger encore. La semaine dernière, une équipe de contrôleurs de l’hygiène a visité quelques cafés et restaurants. Fermeture immédiate de plusieurs établissements dont certains jouissaient d’une bonne réputation. Sauf que le consommateur marocain est assez conciliant. On lui sert une nourriture infecte, il l’avale et ne dit rien. Ce n’est pas mon cas. Je refuse de payer un plat de pâtes à 180 dirhams alors qu’il est mal préparé, sans goût et prétentieux en plus. Je râle, je proteste, je réclame à parler au responsable, lequel n’est jamais là, ou se cache pour ne pas affronter la critique.
«Je ne sais plus quelle instance enquête sur le Mondial de 2030, mais j’ai lu quelque part une critique sévère: absence de civisme et de respect des règles en général. »
— Tahar Ben Jelloun
Ces contrôles devraient être systématiques et intervenir partout. Ce serait bien d’avoir un Cahier des plaintes que n’importe qui pourrait consulter. Je lis souvent des informations sur des intoxications alimentaires un peu partout dans le plus beau pays du monde. J’entends souvent des critiques de consommateurs exploités.
Avec un personnel non formé, mal payé, les propriétaires de certains restaurants sont obsédés par l’appât du gain. Amasser le maximum d’argent en si peu de temps. Ensuite, ils ferment ou s’agrandissent pour mieux engranger des bénéfices faciles.
3—
L’écrasante majorité des propriétaires de motos circule sans casque. Ils sont un danger pour eux-mêmes (parfois, la moto est chargée jusqu’à trois personnes), un danger pour les passants. Comme pour le port de la ceinture de sécurité, le non-port du casque devrait être sanctionné par une amende et confiscation de l’engin en cas de récidive. Autre solution: la vente d’un vélo ou une moto devrait obligatoirement être accompagnée d’un casque. Ça fait partie du tout.
Ces gens ne respectent pas les feux rouges, roulent à toute vitesse entre les voitures, et si on proteste, ils nous font un bras d’honneur! L’autre jour un malheureux livreur est mort dans un accident. Son enterrement a ému toute la ville. Ces jeunes gens doivent travailler vite en vue d’un salaire misérable. Mais ils travaillent et prennent des risques. Le responsable du non-port du casque n’est autre que celui qui fait appel à ces jeunes pour vendre sa bouffe.
Nous retrouvons l’éternelle question de l’éducation et du civisme. Je ne sais plus quelle instance enquête sur le Mondial de 2030, mais j’ai lu quelque part une critique sévère: absence de civisme et de respect des règles en général.
Cela, nous le savons. Mais relevé par des regards étrangers, ça fait mal. Il ne nous reste plus qu’à prendre le sujet au sérieux et entamer une grande campagne pour le civisme et le respect des lois et règles. Une campagne partout et à tous les niveaux. Sinon, nous serons la risée de ces étrangers qui viendront chez nous à l’occasion du Mondial.
4—
À propos du Mondial 2030, j’ai eu la chance de rencontrer le fameux gardien de but, dit Bono. (Son nom est Yassine Bounou, né en 1991 à Montréal). Il passait des vacances avec son fils au Mirage.
D’une sympathie et modestie infinies.
Je lui parle d’un écrivain autrichien, Prix Nobel, qui a écrit en 1972 un livre avec ce titre: «L’angoisse du gardien de but au moment du pénalty». Je lui pose la question. Il regarde au loin et me dit: «Quand je suis face au buteur, je sais tout de lui; je sais comment il va lancer le ballon et de quel côté. C’est une question de flair et d’intuition. Pas d’angoisse! Je reprends l’entraînement dans dix jours.»







