Le séisme d’Al Haouz réveille des douleurs anciennes, des frayeurs que l’on croyait disparues. Il y a ce sentiment de détresse né du caractère brutal et inattendu, comme lorsqu’on vous annonce la mort d’un ami qui vous a serré la main tout à l’heure.
C’est le troisième grand tremblement de terre de l’histoire récente du Maroc, après Al Hoceima (2004) et Agadir (1960). Il y a donc 63 ans déjà, Agadir tremblait et faisait trembler tout le Maroc, alors qu’elle baignait encore ou presque dans la liesse de la post-indépendance.
Peut-être que dans la région du Haouz et de Taroudant, il y a des rescapés du tremblement de terre d’Agadir, des gens qui se souviennent.
Je connais un survivant du séisme de «Gadir», qui avait fait 16.000 morts et chamboulé un nombre incroyable de vies humaines parmi les autres. Mon ami fait partie de ces autres. Il a perdu beaucoup de proches, a été élevé par des parents de substitution, mais il a fait sa vie avec cette devise simple mais essentielle: regarder devant!
Où est-il à présent et comment panse-t-il cette nouvelle blessure?
La plupart des Marocains d’aujourd’hui n’ont pas vécu le tremblement de «Gadir». Beaucoup étaient trop jeunes quand Al Hoceima a tremblé à son tour. Al Haouz est leur première secousse. Secousse physique, matérielle, mais aussi émotionnelle.
L’extraordinaire élan de solidarité vient de ce que tout le monde a ressenti le tremblement. On a tous tremblé. Chacun a vécu le drame comme une expérience personnelle, s’identifiant immédiatement aux victimes. Parce qu’il y a ce sentiment que personne n’est à l’abri.
Le Haouz, ce n’est pas les autres. C’est nous, c’est notre douleur.
Il y a encore quelques jours, certains ne connaissaient Ighil qu’à travers les passionnantes études de sociologie de Paul Pascon, que personne n’est près d’oublier. Lui et ses compagnons, ses jeunes disciples de l’époque, devenus pour la plupart des prescripteurs de tout premier ordre, ont sillonné et labouré le Haouz. Que ressentent-ils aujourd’hui après l’effondrement des structures matérielles de cette région si particulière et qui a tant compté dans leur parcours professionnel, peut-être aussi personnel?
A ces anciens disciples qui liront ce billet, j’ai envie de demander: que devient le pays Tazeroualt? Que reste-t-il des ambitions et des promesses du Haouz? Que devient Ijoukak, que Christine Daure-Serfaty («La femme d’Ijoukak», un roman-essai devenu culte) avait contribué à rendre célèbre? Comment vont Amizmiz et Ouirgane et les autres avec la douleur, toutes ces douleurs?
Beaucoup minimisent la douleur ressentie loin du Maroc, par des gens ordinaires, pas forcément en phase avec les réalités marocaines. Ils en rajoutent, disent-ils, c’est du spectacle.
Mais, dites-nous, quand quelqu’un vous console au moment où vous perdez un proche, vous lui demandez un certificat de sincérité délivré à l’arrondissement le plus proche? Vous lui demandez de jurer en lui tendant un exemplaire du Coran?