Mariage entre cousins, une union en diminution

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueUne de nos belles chansons populaires qui nous fait vibrer dit: «Jibou lya oulde âmmi, ndirou ana fouk rassi ou natsara bih la’rassi oungoule ana ma’yte» (ramenez-moi mon cousin, je le porte sur ma tête, le promène dans les jardins, sans dire que je fatigue). Mais les unions entre cousins ont de moins en moins cours.

Le 16/08/2024 à 10h59

Les mariages ont toujours été en majorité endogames, entre membres de la famille, de la tribu, du village, de l’ethnie… Dans les unions exogames, hors du groupe social, on contracte des mariages pour sceller des alliances, apaiser des conflits, favoriser la solidarité en cas d’attaque ennemie.

Le mariage endogame est réconfortant pour les mariés et leurs familles, car le référentiel est identique. Dans des sociétés conservatrices, il est important de préserver ses traditions et donc son identité. Se marier hors de son groupe peut passer pour une trahison, une transgression.

Dans ces unions, les familles considèrent que leurs filles seront bien traitées. En cas de conflit, il y a toujours des personnes respectées qui assurent la médiation pour la réconciliation.

Cette union est sécurisante aussi parce que, quand la fille était mariée, ses parents pouvaient ne plus la voir ou rarement, à cause des distances, du manque de moyens de transport et de l’absence d’outils de télécommunication.

Autre facteur important: la sauvegarde du patrimoine. Marier sa fille à albarrani (étranger) appauvrit la famille et la tribu: en cas de décès du père, la fille représente un danger, car son mari, barrani, entre dans le partage du patrimoine. Ses enfants sont toujours considérés comme barraniyine car ils portent le nom de leur père et non celui du père de leur mère. Ils sont hors de la lignée. S’ils héritent, ils affaiblissent le patrimoine familial.

Un autre élément est à citer. Il fallait marier les filles très jeunes, encore vierges, pour préserver l’honneur des familles. Les patriarches fixaient les mariages entre leurs petits-enfants, parfois avant même leur conception, ou encore à l’état de fœtus.

Un adage marocain dit: ma nahdyouche khirna li ghirna (n’offrons pas nos biens à autrui).

Les mères, qui souvent choisissent les épouses pour leurs fils, favorisent leurs nièces pour avoir des brus malléables. La cousine respecte la famille, sinon ses parents la rappellent à l’ordre. Ce qui garantit la cohésion familiale.

Le cousin doit épouser sa cousine veuve ou divorcée pour la protéger elle et ses enfants. Idem si elle est trop âgée pour le mariage ou qu’elle a une «tare»… surtout si elle est héritière. Parfois, il la prend en seconde épouse. On dit taystarha (il la protège) ou tayaqbale ‘liha (il l’accepte malgré tout). L’adage dit: lham ila khnaze tayhazzouhe moualih (la chair avariée est prise en charge par ses propriétaires).

On dit aussi li khda bente âmmou bhale yla âyyade men ghnamou, celui qui épouse sa cousine est tel que celui qui, lors de la fête du mouton, choisit une bête de son troupeau. Il n’aura pas de mauvaise surprise, car il sait comment le mouton a été nourri.

Enfin, dans certains douars enclavés, la faible densité de la population oblige à se marier entre cousins.

Le Judaïsme autorise les mariages entre cousins et même entre l’oncle et la nièce.

Pour le Christianisme, la Bible ne fait pas référence à ces mariages. Mais l’Église catholique l’a interdit, à moins qu’il y ait une dispense spéciale accordée par l’évêque.

En Islam, les mariages entre cousins sont permis. Un hadith non authentifié rapporte que le Prophète aurait mis en garde contre ces unions. Mais sa fille était bien mariée à son cousin.

Ces unions peuvent être dangereuses pour la santé de l’individu sur plusieurs générations.

Quand les parents ont un même gène et qu’il se retrouve en double exemplaire chez l’enfant, il provoque des malformations cardiaques, cérébrales ou d’autres maladies génétiques: dystrophie musculaire, myopathie, polymyosite, mucoviscidose, amyotrophie spinale, hypothyroïdie congénitale… La liste est longue.

Le pays où il y a le plus de mariages consanguins est le Pakistan, où il représente 60% des unions, suivi de l’Arabie saoudite (51%), de l’Afghanistan (50%) et de l’Iran (40%). Le taux est bien plus bas en Amérique du Nord et du Sud, en Europe et dans les pays asiatiques et océaniques de l’Est.

Au Maroc, le pourcentage avancé par des études ou des articles varie de 15% à 18%. Impossible de trouver un taux officiel. Ce qui est certain, c’est que ces unions sont responsables du maintien des maladies génétiques rares: 1,5 million de cas de maladies rares sont enregistrés. Et l Pakistan est le pays où l’on retrouve le plus de cas de certaines maladies génétiques.

Pour éviter ces risques, de nombreux pays interdisent ces unions: quelques États aux États-Unis, la Chine, les pays scandinaves, ou encore les Philippines. Dans certains pays, une législation oblige les cousins à effectuer un test sanguin pour vérifier l’absence de gènes responsables des maladies génétiques. Dans d’autres pays, il n’est que recommandé. Et dans d’autres, il est totalement ignoré!

Le dépistage est également recommandé chez les nouveau-nés issus de ces unions. Le secrétaire général de l’Alliance des maladies rares au Maroc (AMRM), Dr Mounir Filali le recommande afin d’anticiper les risques des maladies rares et de mieux les soigner.

Le mariage consanguin continue surtout en milieu rural, mais subira une baisse importante dans les années à venir. Les familles se nucléarisent et les liens entre cousins faiblissent. Les jeunes refusent ces unions qu’ils considèrent comme incestueuses. Ilham: «Mon cousin? Jamais! Nous avons grandi ensemble, il est mon frère.»

Les jeunes parlent de attiqare, de la distance: «Si un problème surgit dans le couple, il devient familial et peut entraîner des dégâts dans les deux familles.»

Enfin, les jeunes sont autonomes et se libèrent de la pression des parents pour le choix des conjoints. Ils sont adeptes de l’adage: baâde men dammek illa yblique, éloigne-toi de ton sang, sinon il pourrait te nuire.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 16/08/2024 à 10h59