Macron, l’Algérie et la Palestine

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueAvec les dirigeants algériens, il faut utiliser le troisième degré pour essayer de suivre les méandres de leur névrose collective. L’esprit cartésien n’a jamais trouvé sa place dans le pays des militaires. La haine et la jalousie, si.

Le 21/04/2025 à 11h00

En déclarant que la France s’apprête à reconnaître l’État palestinien, le président Macron commence à comprendre, un peu, le monde arabe. Il lui échappe cependant le cas très particulier de l’Algérie, qui a de nouveau accentué la crise politique entre les deux pays. Macron avait parlé à Tebboune. Il pensait que les choses allaient s’arranger et surtout que notre ami Boualem Sensal serait vite libéré. Ce serait trop simple. Avec les dirigeants algériens, il faut utiliser le troisième degré pour essayer de suivre les méandres de leur névrose collective. L’esprit cartésien n’a jamais trouvé sa place dans le pays des militaires. La haine et la jalousie, si.

L’affaire de l’agent consulaire qui aurait participé au kidnapping d’un opposant algérien et son arrestation ont remis les compteurs à zéro. Une nouvelle tension et une situation inextricable ont pris place.

Macron vient enfin de comprendre que toute tentative d’assainissement de la situation politique avec l’Algérie est vouée à l’échec. Comme tous ses prédécesseurs, il n’obtiendra rien de ce régime militaro-policier.

La fameuse rentre mémorielle est toujours en action. Le régime d’Alger voudrait assister à la chute du ministre français de l’Intérieur qui ne mâche pas ses mots, voulant mettre à plat les conventions passées entre les deux pays. Mais Bruno Retailleau ne quittera pas ce gouvernement. Et la crise avec l’Algérie prendra de nouveau des allures de drame sans fin.

Pour ce qui est du monde arabe et du problème palestinien, Macron vient de faire une avancée remarquable: il pense que la France devrait reconnaître l’État palestinien, même si cet État est encore virtuel et que la population palestinienne est dispersée entre Gaza et la Cisjordanie. Le principe des deux États, énergiquement refusé par Netanyahu, est de nouveau sur la table. La France a toujours soutenu cette idée. Mais il a y une difficulté majeure d’infléchir la politique israélienne ainsi que celle de l’Amérique de M. Trump.

Déjà en 2002, la réunion des États arabes à Beyrouth souhaitait la reconnaissance de l’État d’Israël en échange de la création d’un État palestinien. Or, entre le Hamas qui s’oppose à cette proposition et le gouvernement israélien dirigé par l’extrême droite nationaliste et raciste, cette solution raisonnable n’a pas eu d’écho.

Le plan de Netanyahu est de rendre aux Palestiniens la vie impossible afin de les pousser, comme en 1948, à partir où ils peuvent ou mourir.

Entre-temps, c’est la dévastation de Gaza, après le massacre du 7 octobre 2023, la prise d’otages et les représailles terribles qui ont fait plus de 50.000 morts à Gaza, dont 12.000 enfants.

Mercredi 16 avril, deux cents journalistes français, arabes et européens se sont rassemblés à Paris, place de la Bastille, en solidarité avec les deux cents journalistes gazaouis tués par l’armée israélienne. À la lecture de leurs noms, chaque journaliste présent tombait. Ce fut symbolique et spectaculaire. Comme l’a écrit un quotidien: «Ce fut une hécatombe».

Cette manifestation a pu rendre compte de l’immense destruction du peuple de Gaza par une armée qui, sous prétexte de rechercher des terroristes, tue tout le monde. Le bombardement la semaine dernière d’un hôpital fait partie de cette politique criminelle. Et aucun journaliste étranger n’a été autorisé à entrer à Gaza pour y faire son travail. Ceux parmi les Gazaouis qui donnaient des informations ont été tués. Une délégation de députés français, vient d’être refoulée, interdite d’entrée à Gaza.

Aussi bien en Palestine qu’à l’intérieur d’Israël, des manifestations ont lieu. Tous les habitants de Gaza -les survivants- ne sont pas forcément avec le Hamas. Tous les Israéliens n’approuvent pas la politique de «nettoyage ethnique» voulue par Netanyahu.

Une fronde des officiers réservistes s’organise en ces jours en Israël. Guy Poran, un ancien pilote explique sur France 24 pourquoi lui et ses mille camarades refusent cette «guerre où beaucoup d’innocents meurent, (…) une guerre sans logique, avec une mauvaise politique qui permet aux milliers d’orthodoxes de ne pas participer à la guerre».

On apprend aussi que 1.700 millionnaires ont fui Israël. Près de 60% de la population jugent cette guerre «très dangereuse pour Israël».

L’espoir est là. Que les Palestiniens de Gaza parviennent à infléchir la politique radicale de la branche armée du Hamas, qui doit libérer les otages et penser à ce peuple qui reçoit des bombes depuis plus d’un an et demi.

La gauche israélienne est minoritaire. Mais elle s’exprime. La société civile des deux camps devrait faire pression sur les uns et les autres pour arrêter la guerre.

Les négociations sont bloquées. La population de Gaza est épuisée. Le blocus israélien est inhumain, criminel. Des enfants meurent par manque de nourriture et de médicaments. Pendant ce temps-là, des Palestiniens de Cisjordanie sont harcelés par des colons juifs qui les tuent pour s’emparer de leurs maisons.

L’Union européenne vient de promettre une aide de 1,6 milliard de dollars à Mohamed Mustafa, Premier ministre palestinien en visite à Bruxelles. Il serait urgent d’organiser de nouvelles élections en Cisjordanie pour permettre à Mahmoud Abbas d’aller à la retraite. Trop âgé, il a du mal à assurer son travail de dirigeant. Raisonner le Hamas serait aussi une solution. Car les représailles israéliennes sont sans pitié. Il y a un besoin d’un peu de bon sens et de réalisme.

Nous savons tous que tant que l’Amérique soutient la politique cruelle de Netanyahu, aucune solution politique n’est possible. Un jour, peut-être (tout est possible), le président américain dira «Assez!» et Netanyahu devra rendre des comptes à la justice de son pays pour des accusations de corruption.

La population de Gaza est en danger permanent. Le monde ferme les yeux et ne veut pas contrarier la politique des tueries systématiques. Ainsi, deux avions de chasse israéliens ont mené des attaques dans la zone d’Al Mawassi, près de Khan Younès. Bilan: 16 personnes tuées et 23 blessées.

L’armée israélienne attaque aussi les tentes des déplacés, où s’abritent pour la plupart des femmes et des enfants. Sept morts et treize blessés, la semaine dernière à Beit Lahia, dans le nord de Gaza. Et ça continuera ainsi! Macron le sait, il fait ce qu’il peut. Il se pourrait qu’une solution soit trouvée pour la Palestine, mais jamais pour le conflit permanent entre la France et l’Algérie.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 21/04/2025 à 11h00