En 2016, un rapport du comité international pour l'enseignement affirmait que le Maroc perdait chaque année 1,2 milliard de dirhams, soit 0,1% du PIB national, en raison de l’absentéisme des enseignants.
Une situation à tel point catastrophique qu’en 2017, dans une démarche inédite, le ministre marocain de l’Education nationale avait décidé de rendre publique la liste des enseignants absents, afin de les contraindre à rendre des comptes, mais également en guise de mesure punitive.
Des profs absents, un niveau scolaire bas, deux bonnes raisons pour les parents qui peuvent se le permettre financièrement de bouder l’enseignement public marocain au profit du privé et, pour les plus nantis, des missions étrangères, et en particulier des écoles françaises.
Toutefois, force est de constater qu’aujourd’hui, l’école française au Maroc, malgré des prix exorbitants qui ne cessent d’augmenter d’année en année sans pour autant être justifiés, est logée à la même enseigne que l’école publique marocaine en terme d’absentéisme des professeurs.
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Les collégiens pris en otageDes élèves du collège qui passent plusieurs heures par jour en permanence, c’est une situation qui est devenue monnaie courante dans les différents établissements scolaires dépendants de l’AEFE.
Ces longues heures à ne rien faire ne sont pourtant pas prévues dans l’emploi du temps initial de ces élèves. C’est quelques jours avant, ou parfois le jour même, qu’ils découvrent qu’un ou plusieurs professeurs n’assureront pas les cours de la journée ou de la semaine.
Du côté des enfants, on jubile… Forcément. Mais du côté des parents, l’inquiétude et la colère sont au rendez-vous. On s’inquiète pour le niveau scolaire de l’enfant. Comment va-t-il pouvoir suivre un programme scolaire amputé de plusieurs dizaines voire centaines d’heures de cours par an? Comment va-t-il pouvoir combler ses lacunes? Et on fulmine. «Ah ça pour nous faire passer à la caisse et nous écraser sous le poids des augmentations chaque année, ils sont champions! Mais pour faire le job pour lequel on les paie grassement, il faudra repasser!», enrage cette maman qui n’en peut plus de compter les heures creuses de son fils au collège, au lycée Lyautey.
La raison de ces absences tient principalement à deux raisons: formation et/ou grève. Du moins, c’est ce qu’avancent les quelques établissements qui veulent bien jouer la carte de la transparence avec les parents car pour certaines écoles, côté communication et justification, il faudra repasser. «Circulez y’ a rien à voir et si vous n’êtes pas contents, la porte, c’est par là! Des élèves en listes d’attente, on en a plein», «voilà ce qu’on nous fait comprendre en substance quand on ose taper du poing sur la table», s’insurge quant à lui ce papa qui se sent pris en otage.
«On aimerait tant pouvoir inscrire nos enfants dans une école marocaine! Malheureusement, le niveau n’est pas au rendez-vous. Alors oui, on se saigne pour leur offrir ce qu’on pense être le meilleur. Et au final, on se retrouve pressés comme des citrons, avec des professeurs qui ne suivent pas, un niveau scolaire qui laisse à désirer, et méprisés par des chefs d’établissements qui ne daignent même pas nous écouter, car ils savent qu’on ne peut rien faire, qu’on n’a pas le choix», poursuit-il, écœuré, et enrageant de sa propre impuissance.
Au collège Claude Monet de Mohammedia, une classe de sixième affiche à ce jour plus d’une cinquantaine d’heures d’absences de professeurs. Et l’année n’est pas encore finie. Une dizaine d’heures de plus à venir, dans le meilleur des cas, sont annoncées.
Au lycée Lyautey, une classe n’a pas vu son professeur d’histoire-géographie depuis plus d’un mois et demi.
Pire encore, en raison de ces absences, le brevet blanc a tout bonnement dû être annulé au collège Anatole France…
Ecole française cherche professeur bac +3 à formerContactée par Le360, Bérangère El Anbassi, conseillère consulaire et présidente de la section Maroc de l’Association Français du Monde, nous apporte son éclairage sur les raisons de cet absentéisme. Pour elle, au delà des grèves, le problème réside dans les postes occupés par les professeurs.
«Ils ont de moins en moins de postes d’expatriés ou de résidents», nous explique-t-elle d’emblée.
«L’AEFE à Paris manque cruellement de personnel. Pour des questions de budgets ou de répartition sur le monde entier, l’AEFE vient recruter ces gens expérimentés au Maroc et les répartit dans le monde entier, surtout en Asie où le réseau des établissements se développe», explique-t-elle.
Terminé donc l’âge d’or des expatriés. Aujourd’hui, ce précieux titre, qui s’accompagne d’un très confortable salaire et d’un contrat de trois ans, est uniquement décerné aux chefs d’établissements et aux directeurs financiers, à quelques rares exceptions près.
Les professeurs ont donc le choix entre un poste de «résident», pour une durée de trois ans renouvelables pour un an ou un «contrat local».
Si les résidents dépendent, tout comme les expatriés, de l’Education Nationale française et cotisent à ce titre en France, ce n’est pas le cas des contrats locaux, des diplômés à bacs +3 recrutés au Maroc, et rémunérés par les établissements.
Aujourd’hui, les contrats locaux, payés bien moins chers que leurs confrères expatriés et résidents posent problème. D’une part, en raison de leur manque de pratique, d’autre part, en raison du temps imparti à leur formation.
«Les formations se passent à Casablanca ou Rabat. Des sessions sont organisées dans l’année à raison de plusieurs dizaines d’heures par an. On retire le professeur de sa classe pour qu’il se forme ainsi que le professeur formateur. Mais pour remplacer un professeur absent en formation, il faut que le proviseur ait sous la main un vivier de professeurs formés et compétents dans la matière voulue, et ayant des heures de cours compatibles avec les heures à remplacer», nous explique Bérangère El Anbassi. Sacré dilemme pour les écoles qui ne disposent pas de beaucoup de ressources. C’est le cas notamment des établissements de Mohammedia ou encore de Marrakech.
Les parents sont en fait pris au piège de leurs propres revendications. Car il y a quelques années, face à l’inquiétude des parents de voir remplacer les enseignants de l’école française par des professeurs peu expérimentés, l’AEFE s'était engagée à les faire bénéficier d’un programme de formation continue tout au long de l’année. Fort bien. Le hic, c’est que ces formations se déroulent pendant les heures de cours. Et contre cela, les parents ne peuvent rien faire, car absolument rien n’oblige un chef d’établissement à remplacer ses enseignants.
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Des mouvements de grève qui traversent les frontièresEn plus de ces heures consacrées à la formation de professeurs débutants, s’ajoutent les jours de grèves. Chaque crise sociale en France se répercute ainsi automatiquement au Maroc, et les manifestations liées au système des retraites ont donc aussi lieu sous nos cieux, dans des écoles françaises qui se vident de leurs professeurs qui font valoir leur droit à la grève.
«C’est absolument catastrophique. Au collège Anatole France, toute section confondue, de la sixième à la troisième, on en est à 170 heures d’absence», nous déclare Khalila, dont le fils est en troisième.
«Mon fils passe le brevet blanc, et l’épreuve vient d’être annulée par les professeurs en grève», nous annonce-t-elle. En cause, la grève liée à la réforme en France du système des retraites et du nouveau calcul du nombre de points.
«Et remplacer un professeur en grève, c’est tout bonnement interdit par la loi…», explique, dépitée, Khalila.
Alors que faire ?«Au collège, on a demandé aux enseignants d’instaurer des heures de rattrapage, une sorte de travail en commun entre enseignants pour rattraper les heures d’absence pendant les heures creuses, ou encore de faire la grève un mercredi matin ou un vendredi après-midi, mais pas pendant des journées pleines», nous explique Khalila, qui malgré ses tentatives, ne parvient à aucun accord.
Quels recours ont donc les parents? En France, où le problème de l’absentéisme des professeurs est devenu un fléau national, des parents se sont plusieurs fois regroupés pour porter plainte contre l’Etat français.
En Seine-Saint-Denis, comme l’indiquait déjà le journal le Parisien en octobre 2019, «19 familles de neuf classes différentes veulent attaquer l'Etat pour "rupture d'égalité du service public"».
«Nous allons porter plainte collectivement avec l'appui de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) pour le préjudice que subissent nos enfants faute de remplacements de professeurs», indiquait alors Catherine Denis, mère de famille, également représentante FCPE du collège Fabien à Saint-Denis.
Dans le cas de ces familles, elles ont l’intention de demander 12 euros par heure manquée et par élève, soit en moyenne 2000 euros.
Et dans un cas en particulier, en 2017, la famille concernée est parvenue à être indemnisée, à raison d’un euro l’heure de cours non enseignée, soit 96 euros en tout…Alors même que l’école est gratuite en France.
Alors que dire du Maroc, où cette même école française, qui dispense un enseignement identique à celui de France, est payante, et où les frais de scolarité ne cessent d’augmenter, et sont actuellement compris entre 33.890 dhs et 55.130 dirhams pour le collège seulement?
Du côté des parents au Maroc, on commence à s’organiser, doucement mais sûrement. «On me dit: si tu veux faire bouger les choses, ne parle pas au nom de l’association des parents, fais-le à titre personnel», déclare le membre d'une association de parents d’élèves à cette maman, qui en est pourtant elle aussi membre.
«Du coup, je fais circuler une pétition entre les parents de l’école que l’on enverra au SCAC et à M. M’jid El Guerrab {député de la neuvième circonscription des Français établis hors de France, Ndlr}, pour essayer de faire bouger les choses», nous annonce-t-elle.