Le Maroc n’est pas qu’incivilités: appel à l’équilibre

Soumaya Naâmane Guessous.

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueÀ l’approche de 2030, le débat sur l’incivisme n’a jamais été aussi présent, scruté, analysé… Parfois exagéré.

Le 22/08/2025 à 11h03

Un article de Tahar Ben Jelloun sur Le360, «Très cher Maroc» (11/08/25) a présenté un témoignage, qui lui a été attribué, à tort, par des réseaux sociaux.

J’en ai été scandalisée, avant de vérifier l’information. C’est en fait un Marocain résidant à l’étranger qui déclare être revenu chez lui avec plaisir, en Île-de-France, ne supportant plus les arnaques quotidiennes dont sont victimes les MRE. «Si je m’écoutais je dirais à la diaspora de boycotter le Maroc en 2026 et de ne plus faire de transfert d’argent jusqu’à ce que nous soyons considérés comme on devrait l’être».

Témoignage injuste. Il ne reflète pas la réalité complète. L’incivisme existe, fruit d’un déficit d’éducation citoyenne. Le renforcement de la régulation économique est indispensable, surtout en été où nos MRE peuvent être victimes d’abus. Mais le Maroc leur offre d’autres plaisirs. Les arnaques ne sont pas généralisées.

Les Marocains sont connus mondialement par leur hospitalité, leur générosité, leur gentillesse. Chaque visiteur vit des expériences positives, bien plus nombreuses que les critiques relayées.

Réduire le Maroc à ses défauts est injuste. Derrière ces lacunes, il y a un État et un peuple qui progressent, innovent, relèvent les défis.

Aimer son pays, c’est dénoncer ses faiblesses, mais aussi célébrer ses réussites. L’incivisme ne doit pas masquer nos progrès ni dénigrer notre potentiel. Chacun de nous, Marocains d’ici et d’ailleurs, a un rôle à jouer pour rendre le pays plus rigoureux, plus prospère.

Généraliser serait dangereux. Des millions de Marocains respectent les règles de vie commune, participent à des actions de solidarité et au vivre-ensemble.

Certains de nos compatriotes résidant à l’étranger, souvent virulents dans leurs critiques, contribuent à l’incivilité qu’ils dénoncent. Respectueux des lois dans leurs pays d’accueil, certains changent d’attitude à la frontière marocaine. Klaxons intempestifs, stationnements anarchiques, jets de détritus par la fenêtre de la voiture, non-respect des files d’attente.

Mais nous, Marocains vivant au pays, devons revoir nos comportements. Qui n’a jamais brûlé un feu rouge «juste pour cette fois»? Jeté un papier car «la rue est déjà sale»? Garé sur un trottoir «pour deux minutes seulement»? Pesté contre la saleté de sa ville tout en jetant sa cigarette? Ces petits manquements quotidiens, accumulés par des milliers de citoyens, créent l’anarchie et l’énervement permanent.

Le site ACTU MAROC (18 août 2025) attribue à tort à Tahar Ben Jelloun une déclaration dans un média français affirmant que le Maroc ne pourrait jamais atteindre le succès touristique de l’Espagne à cause du manque de civisme.

Comparer le Maroc à l’Espagne en matière de tourisme serait trompeur. L’Espagne accueille 85 millions de touristes par an. Le Maroc 14.

Le décalage s’explique par l’histoire et les structures. Dès les années 1960, l’Espagne a fait du tourisme une priorité nationale, bénéficiant d’infrastructures massives, de la libre circulation dans l’espace Schengen et de décennies d’expérience.

Mais l’Espagne n’est pas exempte de problèmes. Les Marocains qui la traversent, avec angoisse, le savent: vol à la tire, dans les voitures, sur les autoroutes, les aires de repos, dans les centres commerciaux… Racket par de faux policiers… Et pourtant, l’Espagne reste une destination touristique de premier plan.

Le civisme n’explique pas tout.

L’insécurité est telle que les autorités françaises avertissent les conducteurs par des signalisations à la frontière avec l’Espagne.

Incivilité? Vol de voitures, organisé par différentes mafias très puissantes. Les voitures sont expédiées en Europe de l’Est, telle la Roumanie, ou en pièces détachées en Afrique subsaharienne dans des conteneurs, via les ports espagnols.

Que de Marocains en ont été victimes! L’année dernière, ma sœur n’a pas retrouvé sa voiture, le matin, stationnée dans la plus grande avenue de la Costa Del Sol, équipée de caméras publiques.

Au commissariat, l’accueil fut glacial, indifférent. Aucune compassion, ni conseil ni aide. Le policier a déclaré, froidement, qu’il y a beaucoup de vols de voitures. (Lire ma chronique: Le tourisme en Espagne est agréable. Mais attention au vol!)

En 2023, 30.982 voitures volées par piratage électronique. En 2024, augmentation de 5%: 33.061 véhicules. 90 voitures volées par jour!

L’Espagne diffuse ses chiffres record de touristes, mais pas ceux des vols!

Si au Maroc, un seul touriste européen se fait voler sa voiture… Scandale international. Gros titres de presse: Maroc, pays dangereux…

À part l’insécurité, le touriste est paisible en Espagne parce, généralement, les gens respectent les règles du vivre-ensemble. Sinon on appelle la police qui arrive immédiatement. Elle fait payer des amendes: chien sans laisse à la plage, musique forte même de jour, bousculade dans une file, voiture bloquant un garage… Les petits détails qui, non régulés, nuisent au bien-être des citoyens.

Cette rigueur est indispensable. Nous la souhaitons fortement au Maroc. C’est ainsi qu’on éduque une population.

Le civisme doit être un projet de société, une priorité nationale, dès l’école, à travers les médias, la famille et les institutions religieuses.

Nous avons prouvé notre capacité à relever des défis impressionnants. Nous affronterons celui du civisme… si chacun, du simple citoyen au plus haut responsable, accepte de balayer devant sa porte.

L’incivilité n’est pas seulement une affaire de l’État. C’est aussi une responsabilité individuelle. Elle commence dans les familles, par l’éduction des enfants, par des gestes simples, une discipline personnelle, une vigilance constante.

Reconnaître que nous faisons tous partie du problème, c’est déjà un premier pas pour en être aussi la solution.

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 22/08/2025 à 11h03