La tête qui ne tourne pas est une colline

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S’adapter, ça veut dire changer de paroisse ou la direction de la Mecque. Changer d’antenne. Muter. Et même se renier s’il le faut. Il n’y a aucun problème.

Le 24/09/2022 à 09h03

Les Marocains sont connus pour leur faculté extraordinaire à s’adapter à tout, en toutes circonstances, et plus vite que la vitesse du son et de la lumière. Fissa! Je ne vous apprends rien.

S’adapter, ça veut dire changer de paroisse ou la direction de la Mecque. Changer d’antenne, si vous préférez. Muter. Suivre la direction du vent ou du soleil, comme des tournesols. Et même se renier s’il le faut. Il n’y a aucun problème. Nous avons bien un dicton qui dit que «la tête qui ne tourne pas est une colline». Traduisez: tournez et retournez-vous dans tous les sens, changez ce que vous voulez, bougez sans vous poser de question; seul le mort ne bouge pas.

Je vais vous parler d’une petite boutique de mon quartier. C’est la reine des mutations et des virages à 180 degrés. Elle me fascine littéralement. Il ne se passe pas une saison ou deux sans qu’elle ne change de peau. Alors elle baisse les rideaux. Quand elle les rouvre, on ne la reconnait plus. Il y a l’avant et l’après.

Je l’ai vue dans la peau d’une boutique de prêt-à-porter spécialisé dans le déstockage. Puis dans la lingerie féminine, avec un petit rayon «islamique», s’il vous plait. Puis les jouets pour enfants. Puis en cybercafé.

Avec l’apparition du Covid-19, les rideaux ont été baissés. Encore et encore. Quand ils ont été rouverts, miracle: ma petite boutique a muté en laboratoire médical!

Et pas n’importe lequel: dédié, entièrement, au Covid-19.

Le labo a fait carton plein. Les tests, c’est comme les petits pains, ils ne vous ratent jamais. Au moindre éternuement, on court se faire tester. La marge de bénéfice est énorme.

Des labos comme ça, on les a vus partout pousser comme des champignons. Investissement rentable et sans risques. On est tous passés par la case Covid. On se fait tester et retester pour se rassurer, pour savoir, pour vérifier, avant de voyager, etc.

Mais ça, c’était avant et les choses ont bien changé depuis. Fort heureusement. Le Covid-19 nous a bien eus. Il nous a roulés dans la farine. Il a bouleversé nos vies et reformaté nos habitudes, notre quotidien. Puis il nous a lâchés, largués. Sans possibilité de retour? Il faut espérer.

Alors ma petite boutique, qui ne désemplissait jamais, a commencé à se vider. Le vent a tourné. Le Covid-19 n’est plus en vogue et le labo envisage déjà une énième mue. Il a fermé boutique. Rideaux baissés.

Que deviendra-t-il demain, quand il rouvrira? Il faut voir ce qui marche en ce moment. Pourquoi pas un petit restaurant chinois, ou africain, pour changer? Ou alors, comme on peut le craindre, une boutique pour vendre des skates et trottinettes, ces engins hyper dangereux qui envahiront bientôt nos cités?

Ah! j’ai oublié de vous le dire: dans une autre vie, avant toutes ces mues, mon petit labo, ma petite boutique a longtemps été une bouquinerie, quand les gens lisaient encore des livres au lieu de consulter leurs messageries et de lire des blagues en tir groupé!

Par Karim Boukhari
Le 24/09/2022 à 09h03