L’attitude du nouvel homme fort de Syrie, qui a refusé de serrer la main d’une femme ministre allemande, est la première image choc de cette année 2025. Sa charge est d’une grande puissance. Nous savons tous ce que ce geste signifie parce que nous l’avons forcément vu dans notre vie quotidienne: beaucoup de radicaux refusent de serrer la main d’une femme parce qu’ils considèrent et la main et la femme comme «awra».
Qu’est-ce qu’une awra? C’est la partie du corps qui doit être couverte. D’abord par respect à la personne en face et pour ne pas éveiller le trouble (c’est-à-dire le désir, essentiellement) en elle. C’est ce qu’on nous a appris.
Mais la awra est une question variable: selon le sexe de la personne et même, parfois, selon sa couleur de peau et son statut social.
Je me souviens d’un voyage, il y a une vingtaine d’années, en Mauritanie. Invité à une rencontre officielle, j’ai failli provoquer un incident diplomatique en voulant serrer la main d’une responsable mauritanienne. On m’en a empêché de justesse, en me sermonnant: «Mon frère, wallahi tu ne peux pas serrer la main d’une femme blanche, c’est un intolérable manque de respect!». Et la femme noire, demandai-je, naïvement? «La femme noire, tu peux, sa main n’est pas une awra!».
J’ignore si mes frères et sœurs mauritaniens ont évolué sur ce genre de considération…
«Quand la ministre allemande, qui représente tous ces électeurs, est traitée comme une vulgaire «awra», il devient difficile d’imaginer la suite.»
Pour revenir au geste d’Al-Joulani, j’ai lu des commentaires tentant de justifier cette attitude ahurissante. On nous dit, en gros, que ce n’est qu’un détail, une particularité tant religieuse que culturelle, une liberté personnelle pour ainsi dire.
Le problème, c’est qu’on ne parle pas d’un simple quidam, à la religiosité beaucoup plus radicale que la moyenne. En tant qu’individu, Al-Joulani peut serrer ou ne pas serrer les mains qu’il veut. C’est sa liberté en tant qu’individu lambda. Mais en tant que «chef d’État»?
Il faut savoir que l’Allemagne est le pays européen qui abrite le plus grand nombre de réfugiés syriens. La reconstruction de la Syrie passe d’abord par ce pays. Demain, quand il faudra lever des fonds pour reconstruire la nouvelle Syrie, c’est d’abord vers l’Allemagne que l’on devra se tourner. Et il faudra motiver et séduire les électeurs allemands…
Quand la ministre allemande, qui représente tous ces électeurs, est traitée comme une vulgaire «awra», c’est-à-dire juste un corps capable, au mieux, d’exciter le désir de celui qui lui serre la main, il devient difficile d’imaginer la suite. Mettons-nous un seul instant à la place de la ministre allemande, avec tout le «peuple» qu’elle représente. Il leur faudrait, pour reprendre l’intitulé d’un livre de Marie Darrieussecq, «beaucoup aimer les hommes» pour passer outre l’impolitesse, l’indélicatesse, pour ne pas dire l’affront du geste d’Al-Joulani. N’est-ce pas!