Ce magazine classe les pays les plus intelligents du monde, à partir de tests de QI (quotient intellectuel). Poisson d’avril de mauvais goût? Non. L’information a été publiée et reprise par une journaliste marocaine, habituellement sensée, sans en contrôler la fiabilité, la cohérence, la justesse.
Qui est CEOWORLD magazine? Sur son site, on apprend que son Conseil exécutif comprend un groupe distingué de dirigeants de haut rang, PDG, présidents, directeurs, chefs d’État… avec l’objectif de réaliser une grande croissance dans leurs organisations respectives. Le magazine propose des analyses, des opinions d’experts… et des classements.
J’aurais souhaité qu’il nous informe sur le QI de ses membres avant de s’intéresser à d’autres populations!
Pourquoi suis-je scandalisée?
Le magazine classe le Maroc 4ème au niveau maghrébin, 20ème parmi les pays arabes. Le QI des Marocains occuperait la 174ème place sur 199 pays, l’Algérie est 144ème et la Tunisie 122ème. L’Irak, 61ème, est le premier des pays arabes, avec un QI moyen de 89,8. Celui des Marocains serait de 67,03!
Le QI est une mesure de l’aptitude cognitive à travers des tests standardisés pour évaluer différents composants de l’intelligence: mémoire, résolution de problèmes, aptitudes mathématiques et linguistiques… Le QI moyen est généralement fixé à 100. Un score supérieur à 100 signifie une aptitude cognitive plus élevée. Inférieur, il signifie une aptitude cognitive plus faible.
Des tests standardisés, élaborés par des Anglais ou des Américains, sont-ils adaptés à toutes les populations?
En 1984, j’ai passé mon service civil à l’OPPPT. Les candidats passaient des tests psychotechniques, élaborés par des Belges. Un responsable belge s’étonnait des faibles résultats des Marocains, comparés aux Belges.
J’ai étudié les tests. Un exemple: épinard, poireau, cèleri, mangue. L’intrus est la mangue, qui n’est pas un légume vert. Dans les années 80, les jeunes Marocains ne connaissaient pas tous ces légumes ni la mangue, sauf le cèleri, mais en arabe (krafès)!
Mesurer le QI a provoqué des dérives scandaleuses par des pseudo-scientifiques qui ont décrété que les noirs américains sont moins intelligents que les blancs. Ces tests étaient les mêmes pour les blancs et les noirs, alors que leur culture était totalement différente. Les noirs étaient séparés des blancs, interdits de mariage entre eux.
En 1883, Sir Francis Galton, un anthropologue anglais, géographe et proto-généticien fonde la théorie de l’eugénisme qui se propage au début du 20ème siècle. Un programme de sélection artificielle pour améliorer la race humaine en contrôlant les mariages: encourager la reproduction des individus et des groupes considérés aptes, porteurs de gènes supérieurs.
Hitler, eugéniste, a imposé la stérilisation forcée et l’euthanasie des individus jugés inaptes à se reproduire.
Le Canada a imposé la politique d’avortements et de stérilisations forcés pour les inaptes, dans les provinces d’Alberta (1928) et de Colombie-Britannique (1933), jusqu’aux années 1970.
Les victimes étaient censées avoir un QI bas et être non conformes aux normes culturelles et sociales. Surtout des immigrants d’Europe de l’Est et des autochtones, premiers habitants du Canada, massacrés par les colons, réduits à la pauvreté extrême et sensibles aux maladies. Ces deux éléments ont servi à les taxer de simples d’esprit, de déficients mentaux, d’êtres inférieurs interdits d’enfanter.
En 2019, les réseaux sociaux ont été bombardés par des internautes, comme par hasard d’extrême droite, présentant une carte du monde avec les QI de chaque pays. La note de l’Afrique ne dépasse pas 85, celle de l’Europe est d’au moins 95, voire 100.
Une carte inspirée d’un ouvrage de Richard Lynn, psychologue britannique exclu de l’Université d’Ulster (Irlande du Nord) pour racisme et sexisme. D’après lui, le cerveau des femmes est plus petit que celui des hommes, d’où un QI inférieur. Il soutient un lien entre les niveaux de QI et les niveaux de développement de chaque pays. Selon lui, ses recherches auraient prouvé qu’il est faux que toutes les personnes ont la même intelligence moyenne: il y a de grandes différences dans l’intelligence des nations, d’où la différence entre richesse et pauvreté. L’intelligence est liée à la race, innée et impossible à développer par l’éducation et l’environnement. Il encourage l’eugénisme.
De nombreux chercheurs affirment qu’il n’y a aucun lien entre les différences génétiques des peuples et leur développement.
Il est certain qu’une éducation efficace aide à développer l’éveil, la curiosité, l’esprit critique et la culture générale qui stimulent l’intelligence. Mais de quelle intelligence parlons-nous? Il y a des intelligences et non une seule. Laquelle ce magazine a-t-il testée?
Quant à la pauvreté de l’Afrique et la richesse de l’Occident, il faudrait se référer à l’histoire de l’exploitation des uns par les autres pour trouver quelques éléments de réponse!
Quelle légitimité ce magazine a-t-il pour se prononcer sur l’intelligence des peuples? Une enquête respectant la rigueur scientifique doit publier sa méthodologie: choix et taille de l’échantillon, ses profils, taux de représentativité, marge d’erreur, nature des tests et leur adaptation aux différentes cultures…
Quels Marocains ont été soumis aux tests, dans quelle langue, quels âges, dans quelle région et de quel niveau d’étude? Ce sont des précisions qui font qu’une enquête est fiable ou farfelue.
Alors prudence! Ne colportons pas d’informations erronées sans en contrôler la fiabilité, la source, la pertinence, la cohérence, la rigueur scientifique.
Les sujets qui paraissent anodins peuvent avoir des répercussions néfastes sur une nation, sur ses citoyens et renforcer des aberrations tels le racisme et l’eugénisme!