La peur d’une mort brutale en Ukraine, pays en guerre, a jeté des centaines d’étudiants marocains sur les routes de l'exode vers les pays limitrophes de ce pays d'Europe orientale. Coûte que coûte, ils ont cherché à rallier un pays voisin à l'Ukraine, envahi par les soldats russes, et en proie aux violences.
L’espace aérien en Ukraine étant fermé, la voie terrestre est leur unique espoir d'échapper à la guerre. Sauf que pour atteindre les points de transit frontaliers du pays (Roumanie, Pologne, Hongrie, ou encore Slovaquie), les routes qu'ils ont prises étaient elles aussi le théâtre des violences de l'invasion russe dans le pays.
Aujourd’hui, l’espoir de certains de ces étudiants marocains qui, pour certains, ne veulent pas être rapatriés, réside dans cette traversée, afin de fuir ce conflit. Certains tablent sur une résidence dans un pays d’Europe, le seul moyen, selon eux, d'assurer une continuité de leurs études supérieures d'abord effectuées en ukrainien, langue slave...
«Nous avons attendu 8 heures pour que les autorités ukrainiennes tamponnent notre passeport et nous laissent enfin passer en Hongrie»Yasmina, 25 ans, étudiante en 4e année de médecine générale dans la ville de Kharkiv, la deuxième plus grande ville d’Ukraine, témoigne de son périple de 56 heures avant qu'elle ne puisse poser le pied en Hongrie, où elle vit aujourd’hui.
«A la gare, c’était le grand bordel. Les gens nous poussaient avec agressivité, et il nous était impossible de bouger ou faire quoi que ce soit. Nous avons été victimes de racisme, on priorisait les Ukrainiens, et d’autres individus de différentes nationalités», raconte la jeune étudiante.
Dans le train vers la Slovaquie, c'est l’instinct de survie a primé et les passagers effrayés ne pensaient qu’à rester vivants, témoigne-t-elle.
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«Après plusieurs péripéties et bagarres pour monter à bord des wagons, un groupe de Marocains a décidé de prendre les choses en main, et nous faire rentrer dans le train. Nous sommes restés 24 heures dans le train avant d’arriver à Lviv, alors que le trajet se fait en 9 heures maximum», raconte Yasmina.
«Nous avons contacté le chauffeur d’un bus pour qu’il vienne nous récupérer de la gare et nous déposer à Oujgorod, pour passer en Slovaquie. En contrepartie, nous devions payer 100 dollars par personne. En pleine route, on nous contacté pour nous demander de changer d’itinéraire, et nous diriger cette fois-ci vers Tchop, pour passer en Hongrie. Une fois arrivés à Tchop, il a fallu payer 25 dollars supplémentaires pour continuer en taxi vers le point de relais qui séparait Tchop de la Hongrie. Nous sommes descendus à quelques kilomètres du point de transit, et nous avons marché. Parvenus là-bas, nous avons attendu 8 heures pour que les autorités ukrainiennes tamponnent notre passeport et nous laissent enfin traverser» la frontière, raconte la jeune femme.
Aujourd’hui, Yasmina et ses amis se trouvent en Hongrie, grâce à l’aide des autorités marocaines et hongroises. Après mûre réflexion, elle a décidé de s’installer dans ce pays d’accueil, pour y poursuivre ses études de médecine... En hongrois, cette fois-ci.
«J’ai dû reprendre la route, et marché plusieurs kilomètres dans le froid et la terreur avant d’arriver à un autre point de relais et transiter vers la Slovaquie»Oussama est lui aussi marocain, et vivait en Ukraine. Etudiant en année préparatoire de nutrition et biomécanique à Kharkiv, il se trouvait chez des amis quand la Russie a envahi l’Ukraine, le jeudi 24 février dernier. En plein désarroi, Oussama et son groupe d’amis ont décidé de se mettre à l’abri dans le métro, où ils sont restés trois jours, et ont passé leur quatrième nuit dans le sous-sol d’un immeuble. Le lundi 28 février, à 7h30 du matin, ils ont décidé de quitter la ville.
«Après beaucoup de peurs et de frayeurs, mes amis et moi avons décidé de quitter Kharkiv. Lundi 28 février, à 7h30 du matin, nous avons pris le train vers Oujgorod, ville limitrophe avec la Slovaquie. En tout, un trajet de plus de 30 heures, pendant lequel nous avons vécu un stress interminable, à cause des arrêts intempestifs, des coupures de courant et d'effroyables scènes que nous imaginions dans notre esprit», témoigne-t-il.
«Une fois arrivés au point de relais, les soldats ukrainiens ont refusé mon passage parce que je n’avais toujours pas obtenu ma résidence du fait que j’avais déposé mon dossier avant la guerre, et que celui-ci était toujours en cours de traitement. J’ai dû reprendre la route, et j'ai marché plusieurs kilomètres dans le froid et la terreur, avant d’arriver à un autre point de relais dans la même ville, par lequel j’ai finalement réussi à transiter vers la Slovaquie», confie-t-il, visiblement soulagé.
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Aujourd’hui, Oussama est à la recherche d’une université en Slovaquie pour y poursuivre ses études, cette fois-ci en slovaque, qu’il venait à peine d’entamer en Ukraine. S'il ne trouve aucune solution, il optera pour une réorientation et recommencera tout, du début.
«Nous avons changé de point de relais et nous avons pris la route vers Diakove pour passer à Halmeu, en Roumanie»Etudiante en 3ème année de pharmacie à Poltava, Meryem raconte elle aussi ses péripéties, qui ont duré plus de 96 heures, après qu'elle a précipitamment quitté son domicile dans cette ville de taille moyenne en Ukraine.
«Le chemin vers la Roumanie a été long et difficile. Nous n’avions pas assez de nourriture. C’était un véritable calvaire. Nous avions payé nos tickets de bus dédiés aux personnes souhaitant quitter l’Ukraine. Mais on a été surpris de voir nos billets annulés. On a par la suite tenté de rejoindre la Hongrie par le train, mais c’était difficile, il y avait des bousculades et des accrochages dans les gares. Finalement, nous avons pu monter dans le train, qui était très encombré. Les gens étaient collés, certains dormaient dans les couloirs, et les fenêtres étaient fermées, un impératif de sécurité. L’oxygène manquait et les 23 heures que nous avons passées sur la route m'ont semblé ne jamais finir», décrit l'étudiante.
«Une fois arrivés à destination, nous avons pris un bus pour nous diriger vers le point de transit à Oujgorod, pour passer en Hongrie, sauf que l’attente y était longue. Nous avons donc décidé de changer de point de relais, et nous avons pris la route vers Diakove, pour passer à Halmeu en Roumanie, où on nous a fourni gratuitement l’hôtel, le transport et la nourriture», raconte encore Meryem.
Meryem devait rentrer au Maroc dans un des vols spéciaux programmés par la RAM, au départ de Bucarest vers Casablanca. Toutefois, elle a décidé d’étudier les différentes possibilités qui s’offrent à elle en Roumanie, et espère s'inscrire dans une université pour continuer ses études de pharmacie... En roumain, cette fois-ci.
«J’ai marché 30 kilomètres et j'ai attendu pendant six jours dans des températures glaciales pour arriver en Pologne»D’autres ressortissants marocains, comme Issam, ont tenté de se rendre à Lviv, pour quitter l’Ukraine à travers la Pologne, mais cet exode a été extrêmement périlleux.
«Arrivé à Lviv, j’ai pris un taxi qui m’a déposé à 30 km de Szeginie, poste frontalier qui sépare l’Ukraine de la Pologne. J’ai donc été contraint de marcher ces 30 km jusqu’à Shehyni (un petit village à l’ouest de l’Ukraine), pour entrer à Medyka, en Pologne. Parvenu aux frontières, m'est apparue une longue et interminable file de personnes, massées. Il n’y avait aucune organisation, les gardes-frontières étaient très tendus, et on privilégiait les Ukrainiens par rapport à nous. Face à cette injustice, je me suis dirigé vers un soldat ukrainien pour lui faire part de cela, mais à ma grande surprise, celui-ci m’a violenté, et a même pointé son arme sur ma tête (la loi martiale est actuellement en vigueur dans ce pays en guerre, Ndlr). Je suis resté sans réponse, isolé de la queue avec un ami, sans le droit de parler ou de dire quoi que ce soit», décrit-il, encore traumatisé.
Cet étudiant en deuxième année de médecine dentaire à Dnipropetrovsk, petite ville d'Ukraine, est resté bloqué pendant six jours au poste-frontière séparant l’Ukraine de la Pologne.
«J’ai attendu pendant cinq jours. Les températures étaient glaciales, et je n’avais ni de quoi manger, ni de quoi me couvrir. Je dormais sur la chaussée. Au bout du sixième jour, mon corps a commencé à lâcher et je me suis évanoui. C’est à ce moment-là que l'équipe médicale s’est précipitée vers moi pour me venir en aide, et me faire traverser la frontière. Ces jours furent les plus longs et les plus difficiles de ma vie», se souvient-il.
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Actuellement, Issam se trouve à Varsovie. Il séjourne chez un ami. Il ne sait toujours pas s’il compte rester en Pologne, mais une chose est sûre, il ne rentrera pas au Maroc, assure-t-il, tant qu’il n’aura pas de visibilité sur la poursuite de ses études en médecine dentaire.
«Au total, 1.500 kilomètres parcourus en voiture, une attente de 26 heures pour être en Slovaquie, avant de prendre la route vers Berlin»Lorsqu'Anas, étudiant en 5e année en génie civil à Kharkiv, est arrivé au passage frontalier entre l’Ukraine et la Pologne, il a découvert une file d’attente de plus de 30 km, et des individus de toutes origines, qui y attendaient leur tour depuis déjà près de 24 heures.
«J’ai décidé de faire demi-tour, de changer de parcours et de tenter de partir en Slovaquie. Franchement, c’était l’enfer. Après plusieurs heures de stress, et après avoir parcouru plus de 1.500 km en voiture, je suis finalement arrivé au point de relais qui séparait l’Ukraine de la Slovaquie. J’ai dû attendre 26 heures supplémentaires pour traverser la frontière», raconte-t-il.
«Au total, trois jours de stress insurmontable pour être en Slovaquie. J’y ai passé quelques heures avant de reprendre la route vers Berlin en Allemagne. Ici, je suis logé gratuitement, le transport est sans frais également, et ce sont des conditions qui m’arrangent, parce que tout l’argent que j’avais est resté bloqué dans ma banque en Ukraine. Pour le moment, j’attends de voir ce que je vais faire, soit rentrer au Maroc, ou rester ici en Allemagne», raconte cet étudiant.
Anas a, en fait, décidé de rester en Allemagne, et cherche actuellement une université pour poursuivre sa dernière année d’études en génie civil... Cette fois-ci en allemand. Pour ce jeune Marocain, revenir au Maroc équivaut à abandonner son rêve de mener une carrière à l’étranger.
Tout comme des centaines de ressortissants marocains, ces étudiants persistent à choisir l’Europe, orientale, ou occidentale, malgré l’enfer qu'ils viennent d'endurer. Aujourd’hui, ils tentent tant bien que mal d’enterrer les souvenirs traumatisants qu'ils ont vécu de cette guerre.