En empruntant le tronçon de la nationale 2 qui relie Tétouan à Chefchaouen, l’enclavement de la ville devient de plus en plus frappant au fil des kilomètres parcourus.
Des travaux d’agrandissement sont en cours mais la double-voie, dans les deux sens, paraît encore loin de voir le jour.
Le manque d’activités est flagrant. Sur les abords de la route, aucune usine, aucune zone d’activité commerciale ou industrielle.
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Le paysage est certes beau, mais dur, aussi, avec ses reliefs escarpés. La terre est rocailleuse et ne semble pas propice à l’agriculture.
1 heure 30 de route plus tard, Chefchaouen apparaît, au flanc d’une montagne, avec ses maisons peintes de cette couleur bleu indigo qui a désormais fait sa renommée internationale.
Des touristes nationaux et étrangers se baladent, se prennent en photos, les rues sont pleines et les terrasses de café bondées.
Cette ambiance paisible ne saurait occulter une triste réalité et une funeste statistique. La région de Chefchaouen a enregistré 21 cas de suicides depuis le début de l’année 2019.
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Les contacts et entretiens avec différents acteurs de la ville n'ont pas été d’une grande utilité pour comprendre comment et pourquoi y a-t-il un nombre aussi élevé de suicides dans la cité et ses environs.
A première vue, on pourrait penser que le problème viendrait de la consommation de drogues, celle du haschisch, notamment. Mais, sur les 21 cas, seule une personne consommait de la drogue, selon des sources sur place.
Le problème est en fait bien plus complexe. Selon les statistiques fournies par services de la Province, il n’y pas de similarités entre ces 21 suicides.
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Toutes les catégories de la population sont touchées.
Toutes les tranches d’âges et et les deux sexes sont concernés.
Et la situation familiale ou le statut social n’y sont pour rien non plus, expliquent nos sources.
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Dans cette région en effet, des personnes issues de milieux aisés se sont donné la mort, comme d'autres, issus de milieux défavorisés sont sont suicidés par pendaison.
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Cerner les causes de ces décès devient donc difficile, voire impossible.
«Sans définir les causes, il est impossible de trouver des solutions», nous confie une responsable, qui travaille au siège de la Province de Chefchaouen.
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«Les gens de la région sont très susceptibles et ont tendances à tout garder pour eux. La moindre petite contrariété est susceptible de déclencher une spirale qui peut mener au suicide», philosophe un chauffeur de taxi, à qui nous avons posé la question. Il raconte, effaré, le cas d’un notable de la ville, d'un certain âge, possédant de nombreux biens et commerces, qui s’est donné la mort sans raisons apparentes.
D’ailleurs c’est l’un des seuls points communs entre les différents cas. Les individus qui se sont donné la mort l’ont fait sans signes avant-coureurs, prenant de court leur entourage et créant une totale incompréhension.
Thérapie, la hchouma!Les habitants de la région tout utour de cette petite ville qu'est Chefchaouen sont très sensibles au qu’en-dira-t-on. Le fait d’être aperçu entrant, ou sortant du cabinet d’un psychiatre ou d’un psychologue, peut facilement leur valoir le titre de "fou" dans la ville ou auprès du voisinage.
Et cette mentalité rétrograde n'est pas à l'avantage des femmes. Dans cette région, celles-ci subissent de nombreuses pressions, comme l’explique l'une des responsables du Centre de consolidation des compétences de la femme à Chefchaouen.
Ainsi, par exemple, et entre autres, les femmes doivent faire très attention à leur tenue vestimentaire, autrement, bonjour la "mauvaise réputation" que leur accolerait immédiatement les bonnes âmes charitables de la ville.
Il s'agit là d'une vraie pression sociale, émanant de la rue, des voisins.
Autre exemple de forte pression sociale: les femmes, à Chefchaouen et ses environs, se doivent de subvenir aux besoins de toute leur famille alors même que leur frère, ou leur père, passe ses journées à griller des cigarettes (et pas que cela) sur les terrasses des cafés.
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Sans oublier les mariages forcés, qui sont légion dans la région.
Là au moins, du moins pour les femmes, on tient un début d’explication sur ces suicides à répétition.
Mais, à Chefchaouen, comme ailleurs au Maroc, le suicide reste un tabou.
On le passe sous silence. On n’en parle pas. Et la petite cité, si "instagrammable" ne paraît pas sortie de l’auberge, concernant ce drame humain, du moins.