Enfants: dans les couples, la préférence pour les garçons est en chute libre

Soumaya Naâmane Guessous.

ChroniqueAncrée dans les mentalités, pour des raisons culturelles, économiques et sociales, l’obligation d’enfanter des garçons est de moins en moins prégnante au sein des couples marocains.

Le 23/08/2024 à 10h59

Avoir des garçons est une obligation ancrée dans les mentalités, pour des raisons culturelles, économiques et sociales. Le garçon est garant de la pérennité du nom de famille qu’il transmet à travers les générations. Dans le système patriarcal tribal, il est important d’être désigné par le nom du père pour être reconnu. Aujourd’hui, cela n’a plus d’importance. Les individus se fondent dans l’anonymat des espaces urbains.

Le garçon, un protecteur. Il est viril et doit défendre sa famille par ses muscles. Il contrôle ses sœurs pour sauvegarder l’honneur de sa famille. Une famille sans garçon est fragile. Aujourd’hui, les femmes sont capables de se défendre, mais les familles se sentent plus en sécurité en cas de conflit, car le garçon est craint plus que les filles.

Une femme ayant un fils ktafha skhane (a les épaules chaudes), elle est protégée. Quand les femmes ne sortaient pas, étaient analphabètes, les fils se chargeaient de tout à l’extérieur du foyer. Aujourd’hui, les femmes sont autonomes et leurs filles jouent aussi le rôle des fils.

Le garçon, une garantie économique? Dans le monde rural, le garçon est une force de travail essentielle pour les tâches agricoles et travaux physiques. Adulte, il entretient ses parents, ses frères et sœurs. Aujourd’hui, les filles jouent également ce rôle. Nombre de fils peinent à s’entretenir eux-mêmes, surtout quand ils se marient. Quand les parents sont en situation de précarité, les filles travaillent, quelles que soient les conditions. Le fils se sacrifie moins.

Avoir des fils valorise le statut social. Un père sans fils est un homme à la virilité faible. On le nomme abou al banate (père des filles). Même si c’est de l’humour, cela blesse.

Surtout, le fils protège le patrimoine familial. Un couple sans fils est dépouillé en cas de décès de l’époux ou de l’épouse: les frères et sœurs sont héritiers selon la pratique de ta’cib, qui n’a rien à voir avec le Coran, mais qui a été imposée par des religieux après le décès du Prophète. Le garçon est le sauveur! Espérons que la réforme du Code de la famille abrogera cette injustice.

L’épouse pouvait avoir 20 filles, on dira que mawaldache (elle n’a pas enfanté). Ce qui donne au mari l’excuse de se remarier ou de divorcer. L’épouse continuait à enfanter pour avoir «le garçon». Aujourd’hui, le nombre moyen d’enfants par femme est de 2,3. L’idéal pour les couples c’est d’avoir un garçon et une fille. Mais ils fixent leur nombre d’enfants à 2. Garçon ou pas, il est devenu rare que la femme continue à enfanter.

Avant, les enfants ne revenaient pas chers, car non scolarisés et mariés vers l’adolescence. Les parents avaient une charge de courte durée. Aujourd’hui, les enfants restent accrochés à leurs parents de longues années et leur éducation est devenue très coûteuse.

De tout temps, il y a eu de prétendues méthodes pour concevoir un garçon. Aujourd’hui, des médecins conseillent à la mère une alimentation avant et pendant la conception: riche en sodium et en potassium, avec bananes et pommes de terre…

Les femmes visitaient des tombeaux de Saints, tel Moulay Bouchaïb, à Azemmour, réputé donner des garçons. La chanson populaire dit: Ahya Moulay Bouchaib, ahya âattaye la’zara (toi qui donnes des garçons).

On dit twasdate ou msanda (est adossée), tatzawague (elle implore), tatwaâde (elle promet). Elle promet des dons aux saints: sacrifice de mouton ou volaille. Le non-respect de la promesse attire des malédictions.

Le fkih donne des hjabes, talismans que la femme porte sur elle, fait du tbatile avec des fumigations de plantes pour ôter le mauvais œil et la sorcellerie, tel tqaf, qui nouerait l’utérus. L’herboriste donne des décoctions pour réchauffer l’utérus.

La qabla, sage-femme traditionnelle, introduit dans le vagin des plantes censées être «masculinisantes». Tataqlabe alwalda, elle manipule l’utérus pour qu’il accueille des fils.

On conseille au mari de pénétrer violemment l’épouse et de cogner fort le col de l’utérus pendant l’éjaculation, car les garçons ont besoin de force pour être conçus.

Une fois la femme enceinte, sans échographie, il fallait découvrir le sexe de l’enfant. Chaque société a eu ses méthodes. Il y a des femmes qui ont la baraka et qui peuvent prédire le sexe au simple toucher du ventre.

Si le ventre est pointu et haut, c’est une fille. Large et bas, c’est un fils. Si la mère enlaidit, c’est une fille. Si elle embellit, c’est un garçon. Si elle a beaucoup de nausées, c’est une fille.

Dans certaines tribus arabes, on enterrait les filles à la naissance, car porteuses de honte. Le Coran l’a interdit. Le Prophète a dit: «Celui qui a une fille et ne l’enterre pas vivante, ne l’offense pas, ou ne préfère pas ses enfants mâles à elle, Allah le fera entrer au paradis.»

Les filles mènent au Paradis. Le Prophète a encore dit : «Quiconque a trois filles, les traite avec patience et assure leurs besoins alimentaires, elles lui fourniront une protection contre l’enfer.»

De nombreuses mères disent préférer les filles: «Je voulais un fils. J’ai eu 3 filles et enfin un garçon. Il me rend dingue. J’aurais souhaité 10 filles plutôt qu’un garçon.» Les filles sont plus calmes, moins révoltées. Les parents ont plus de problèmes avec les fils. Karima: «Les garçons risquent plus la délinquance, les drogues… Les filles moins.»

Majida: «Lbnate zouinate. Elles aident au foyer et sécurisent dans les maladies et la vieillesse. J’ai 3 fils et une fille. Quand je suis malade, ma fille s’occupe de moi. Mes fils appellent au téléphone. Les pauvres, ils travaillent et ont leur famille. Ma fille aussi travaille et s’occupe de son mari et ses enfants!»

Beaucoup de parents disent qu’aujourd’hui, avoir une fille ou un garçon, c’est pareil. Sabah: «Nous leur donnons la même éducation. La vie devient difficile pour eux. Nous ne comptons plus sur eux. Adultes, ils continuent à compter sur nous!»

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 23/08/2024 à 10h59