Du vol individuel aux cyberattaques, le nouveau visage de la criminalité au Maroc

Les hackers utilisent plusieurs systèmes pour pirater les données des banques ou celles de leurs clients.

Revue de presseEn deux décennies, la criminalité au Maroc a profondément changé de visage. Un rapport inédit du ministère de la Justice dresse le bilan de vingt ans de mutations et met en lumière les défis persistants d’une société en pleine transition. Cet article est une revue de presse tirée du quotidien Al Ahdath Al Maghribia.

Le 13/11/2025 à 22h15

La carte du crime au Maroc a connu une transformation profonde au cours des vingt dernières années. D’une criminalité essentiellement physique et individuelle, le pays est passé à des formes de délinquance numérique, complexe et institutionnalisée. Les infractions mineures ont cédé la place à des phénomènes enracinés dans des réalités sociales et économiques plus profondes. Malgré les avancées institutionnelles et technologiques enregistrées, la violence, la corruption et la criminalité organisée demeurent parmi les défis majeurs auxquels la politique pénale nationale doit faire face.

C’est l’un des principaux constats d’un rapport officiel publié par le ministère de la Justice à travers l’Observatoire national de la criminalité et dont le quotidien Al Ahdath Al Maghribia rend compte dans son édition du vendredi 14 novembre. Intitulé «Données statistiques sur la criminalité au Maroc sur vingt ans», ce document constitue le premier bilan d’envergure consacré à l’évolution de la criminalité dans le pays entre 2002 et 2022. Il dresse un portrait précis des mutations qui ont marqué le phénomène criminel au Maroc, grâce à une analyse à la fois quantitative et qualitative des affaires enregistrées devant les juridictions nationales.

Ce rapport, premier du genre depuis la création de l’Observatoire en 2022, s’inscrit dans une démarche de modernisation de la politique pénale et d’unification des sources de données entre les institutions judiciaires et sécuritaires, écrit Al Ahdath Al Maghribia. L’objectif est de bâtir une base de données scientifique unique permettant de mieux comprendre les tendances criminelles et d’évaluer les politiques publiques en matière de justice et de sécurité.

Les conclusions du rapport révèlent une tendance générale à la hausse du taux de criminalité, avec un pic enregistré en 2022. Une légère baisse avait été observée durant la crise sanitaire de 2020, mais la courbe est repartie à la hausse avec une multiplication des délits numériques et administratifs, tandis que les crimes dits «classiques» sont restés stables. La corruption, la fraude et l’abus de pouvoir continuent quant à eux d’atteindre des niveaux préoccupants. Ces évolutions traduisent également un déséquilibre territorial et temporel de la criminalité, reflet des inégalités sociales et du développement inégal des régions.

Selon les chiffres, le nombre total d’affaires criminelles est passé de quelques centaines de milliers au début des années 2000 à plus de 1,17 million en 2022, impliquant près de 1,5 million de personnes poursuivies. Ce record historique, note le rapport, s’explique en partie par les infractions liées à l’état d’urgence sanitaire instauré durant la pandémie de Covid-19. Ces dernières représentaient près de 57% des affaires enregistrées cette année-là, soit environ 468.000 dossiers. Une large part du pic constaté est donc due à des infractions conjoncturelles, et non à une explosion du crime traditionnel.

En matière de typologie, les infractions régies par des lois spéciales (telles que le trafic de stupéfiants, l’ivresse publique, les infractions à l’urbanisme ou la contrebande) occupent la première place avec 48,8% des affaires. Elles sont suivies par les crimes contre les personnes (22,2%), les crimes contre les biens (15,7%) et enfin les atteintes à la famille et aux bonnes mœurs (6,8%). Cette répartition illustre un glissement de la criminalité marocaine, passée d’actes individuels isolés à des structures délinquantes plus complexes, liées à des réseaux économiques et sociaux.

Les crimes violents, notamment les coups et blessures volontaires, représentent à eux seuls près de 70% des infractions commises contre les personnes. Ils constituent depuis vingt ans la catégorie la plus fréquemment jugée par les tribunaux. Les années 2005, 2019 et 2022 ont été marquées par des pics particulièrement élevés, traduisant une recrudescence de la violence sociale et familiale au sein de la société.

Le rapport s’attarde également sur la corruption administrative, dont les chiffres sont jugés alarmants. Entre 2002 et 2022, près de 197.000 affaires impliquant des fonctionnaires publics ont été enregistrées, dont 98% concernent des cas de corruption et d’abus de pouvoir. Ces données confirment la persistance du phénomène comme un mal structurel au sein de certaines institutions, malgré les réformes législatives et les dispositifs de contrôle successifs.

Sur un autre plan, la criminalité numérique connaît une progression continue. Les délits liés aux systèmes informatiques ont été multipliés depuis 2003 pour atteindre 171 affaires en 2022, impliquant 260 personnes poursuivies, rapporte Al Ahdath Al Maghribia. L’Observatoire y voit le signe d’un basculement vers la délinquance numérique, alimentée par la généralisation de l’usage des technologies et l’essor des activités en ligne. Ce phénomène appelle, selon les auteurs du rapport, une adaptation du cadre juridique et un renforcement des dispositifs de surveillance et d’investigation.

Le volet sécuritaire affiche néanmoins un point positif: la nette baisse du terrorisme. Sur plus de 6.500 affaires recensées en vingt ans, la tendance est clairement à la décrue, notamment depuis 2019, avec une chute de plus de 58% en 2020. Cette évolution témoigne, selon le rapport, de l’efficacité de l’approche sécuritaire préventive adoptée par le Maroc pour contrer l’extrémisme violent.

Pour les rédacteurs du document, la création de l’Observatoire national de la criminalité marque un tournant dans la stratégie pénale marocaine. Elle traduit le passage d’une simple observation statistique à une véritable analyse scientifique et prospective. Il ne s’agit plus seulement d’enregistrer les crimes après coup, mais de comprendre leurs causes et d’anticiper leurs évolutions. La base de données mise en place devrait ainsi permettre aux décideurs d’élaborer des politiques publiques fondées sur des preuves, renforçant la cohérence entre les institutions de justice et de sécurité.

L’étude repose sur une approche analytique et quantitative, classant les infractions selon le code pénal et les lois spéciales, et observant l’évolution du nombre d’affaires et de personnes poursuivies. Cette méthode permet de dégager les grandes tendances de la criminalité en lien avec les mutations sociales et économiques du pays. Au-delà des chiffres, le rapport met en évidence la nécessité d’une lecture scientifique de la criminalité, non comme un simple indicateur, mais comme un miroir du développement, de la gouvernance et de la cohésion sociale.

Par La Rédaction
Le 13/11/2025 à 22h15