La lecture, «ce vice impuni», souffre au Maroc. Un sondage nous avait appris que les Marocains étaient parmi les peuples qui lisent le moins. Quelques heures par an! Une jeunesse qui ne lit pas portera en elle une infirmité dont les répercussions sont énormes sur la vie professionnelle et sur l’état de la civilisation du pays.
En tant qu’écrivain, je dois beaucoup à l’art cinématographique. Quand j’étais collégien à Tanger, j’avais convaincu mon père de me permettre d’aller le plus souvent possible au cinéma, en lui expliquant que cela faisait partie de la culture et de l’éducation.
Nous avions la chance d’avoir deux salles de cinéma face à face rue des Italiens, l’Alcazar et le Capitol. Elles projetaient un film par jour. Le prix du billet d’entrée était modique. Ce fut dans ces salles que j’ai acquis ma culture cinéphilique. Je voyais un film par jour et je tenais un journal critique des films vus.
J’ai découvert dans ces salles les films de Fritz Lang, de Raoul Walsh, d’Alfred Hitchcock, d’Antony Mann, de John Ford, de Howard Hawks, et même des films de Luis Buñuel ou de Julien Duvivier.
Le cinéma Capitol a disparu, remplacé par un café qu’on peut voir dans le film de Bertolucci «Un thé au Sahara». On y voit l’écrivain américain Paul Bowles attablé à la terrasse de ce café en train de méditer. L’Alcazar vient en revanche d’être entièrement restauré. De vieille ruine, il s’est transformé en un magnifique bijou. Il a été une des premières salles restaurées par le ministère de la Culture.
Le ministre actuel de la Culture, Mohamed Mehdi Bensaïd vient de donner le coup d’envoi pour l’ouverture ou la restauration de 150 salles de cinéma à travers le Royaume. Excellente idée.
Si la jeunesse a perdu l’habitude de fréquenter les salles de cinéma, c’est parce qu’elles n’étaient plus aussi accueillantes et qu’elles ne présentaient plus des films de qualité. Les salles groupées sont destinées à ceux qui en ont les moyens. Les cinémas de quartier, avec un ticket d’entrée abordable, manquent.
Cette initiative est heureuse. Espérons qu’elle sera menée à bien et qu’elle saura attirer une jeunesse dominée par les réseaux sociaux. C’est dans le même sillage qu’on verrait bien la construction ou la restauration de bibliothèques dans les quartiers populaires.
La lecture, «ce vice impuni», souffre au Maroc. Un sondage nous avait appris que les Marocains étaient parmi les peuples qui lisent le moins. Quelques heures par an! Une jeunesse qui ne lit pas portera en elle une infirmité dont les répercussions sont énormes sur la vie professionnelle et sur l’état de la civilisation du pays.
Il est des méthodes pour faire lire les enfants. Encore faut-il que ceux et celles dont c’est le métier soient aussi des lecteurs. Il y a l’école, puis la famille. Si les parents ne lisent pas, ce qui est le cas actuellement dans la majeure partie du pays, les enfants ne liront pas, à de très rares exceptions.
Donner l’envie de lire et d’entrer dans l’imaginaire de grands écrivains est une nécessité. Faire un voyage immobile. Aller loin tout en étant chez soi.
Le Salon du livre se tiendra bientôt à Rabat. Cette fête du livre reste une exception. On aimerait que l’incitation à la lecture et à la découverte d’autres mondes se généralise. Ce n’est pas une question de moyens, mais de volonté, politique certes, mais aussi d’un désir de faire de la culture un des piliers du progrès dans notre pays.
De tous les pays du monde, c’est l’Islande qui arrive en tête pour la lecture. Il faut dire que le climat et les paysages n’invitent pas à l’aventure hors du domicile. Mais c’est aussi une tradition, respectée et transmise depuis des siècles.
Sur un autre plan, celui des journaux quotidiens, c’est le Japon qui lit le plus. Le premier quotidien national a deux tirages, l’un à quatre heures du matin, l’autre vers midi. Le premier tirage est de huit millions d’exemplaires, le second de quatre millions. C’est unique au monde.
Quand j’ai demandé des explications à mes interlocuteurs japonais, voici ce qu’ils m’ont répondu: «Au Japon, une tradition persiste: chaque famille est abonnée à au moins deux quotidiens. À quatre heures du matin, tous les abonnés du pays reçoivent leur journal dans leur boîte aux lettres!» Dans le train qui m’emmenait à Kyoto, tout le monde -sans exception- lisait. Des journaux, des mangas, des livres.
Restaurer des salles de cinéma, ouvrir des salles de théâtre, pas uniquement au centre-ville, mais aussi dans la périphérie, construire des bibliothèques et surtout les remplir de livres en arabe, en français, en anglais, en espagnol, des livres en format de poche, pas chers, organiser des événements avec des créateurs, bref, faire de la culture une priorité quotidienne.
Telles sont les suggestions que je me permets de soumettre au ministre de la Culture, en sachant qu’il est assez sensible à ce genre de propositions. Un salon du livre une fois par an, c’est bien, mais une incitation à la lecture quotidienne serait un défi et un progrès importants pour le pays et ses enfants.
Il faudrait faire des festivals et des salons des moments privilégiés, tout en ayant développé le contexte culturel où l’on aura donné à la jeunesse l’envie de lire et de voir des films qui constitueraient une part de leur bagage culturel.