Dédicace à la section féminine du PJD

Karim Boukhari.

ChroniqueElles étaient très jeunes et très belles. Elles venaient de faire la révolution et de la gagner. Mais de quelle révolution parle-t-on et qu’ont-elles gagné au juste?

Le 19/07/2025 à 09h00

Abdelilah Benkirane vient d’être épinglé par une association féminine pour avoir dit que le “salut” (pour les femmes) s’appelle le mariage, rien d’autre. C’est une affirmation vieille et bête comme le monde. Les premiers descendants d’Adam et d’Eve devaient déjà penser la même chose, il y a quelques milliers (ou millions, n’est-ce pas) d’années.

Mais soyons francs. Aujourd’hui encore, beaucoup parmi nos concitoyens pensent la même chose. Le salut, c’est le mariage, que l’on désigne encore par «setra» (comme un drap que l’on jette sur un corps nu pour le protéger du froid et du regard des autres). Une sorte de solution finale: pour ne plus souffrir de solitude, de désoeuvrement, de dépression. C’est un vieux discours, un vieux disque.

À quoi vous serviront vos diplômes, votre indépendance, votre épanouissement personnel, sans mariage, accessoirement sans enfants, mesdames, mesdemoiselles? Mais à rien, strictement.

Bekirane et les siens ne sont que les porte-paroles de ce Maroc qui n’a pas bougé et refuse de le faire, malgré les milliers d’années passées. Leur immobilisme rassure les personnes qui ne veulent pas se servir de leur cerveau. Et qui s’efforcent de croire que c’était mieux avant, et même avant avant!

Tout cela pour vous dire que pendant que le père Benkirane mène la lutte contre l’indépendance des femmes, bien soutenu par la section féminine de son Parti, je sors, quant à moi, de la projection d’un documentaire de cinéma: eh oui, chacun son truc. Ça s’appelle “Ces mots qu’elles auraient pu dire” (rien que ce titre…), c’est un film-enquête extraordinaire sur les jeunes femmes algériennes (certaines avaient 17 ans à peine!) qui avaient posé des bombes pour lutter contre l’occupation française.

L’enquête commence avec une surprenante archive: en 1962, au moment de l’indépendance algérienne, ces jeunes femmes venaient d’être libérées, alors que certaines étaient condamnées à mort. On les voit discuter et s’emballer, mais on ne sait pas ce qu’elles disent. La bande-son a été perdue. C’est une archive muette. Le film essaie de déchiffrer ce qu’elles disaient ce jour-là, au moment de leur sortie de prison, et surtout ce qu’elles sont devenues aujourd’hui…

En 1962, elles étaient très jeunes et très belles. Elles venaient de faire la révolution et de la gagner. Mais de quelle révolution parle-t-on et qu’ont-elles gagné au juste?

Le réalisateur-enquêteur en a retrouvé quelques-unes, 60 ans après. Elles tiennent à peu près le même discours: on leur a volé leur révolution. Les hommes du FLN, qui étaient leurs compagnons d’armes, ont tout fait pour les «invisibiliser». Ils ont fait comme le père Benkirane: il est temps de vous marier et de vous ranger à présent, merci pour votre participation et au revoir.

Il y avait de la place pour une Djamila Bouhired, devenue l’icone quasi-officielle de la révolution, dans son pendant féminin, mais pas pour les autres…

À présent, à 80 ans passés, elles regardent dans le rétroviseur… Elles ont lutté et rêvé d’indépendance, de dignité et d’égalité. Pour leur patrie, et surtout pour elles. Et c’est quoi le résultat? Et si, au bout du compte, ces femmes et certainement d’autres dans le Maghreb et le monde arabe s’étaient trompées de révolution?

Je dédie et je recommande fortement ce documentaire magnifique, qui est en train de faire le tour du monde, à la section féminine du PJD.

Par Karim Boukhari
Le 19/07/2025 à 09h00