Ça y est! Après maints essais, j’ai enfin réussi à entrer dans la tête d’Emmanuel Macron. J’avais oublié de me couvrir d’habits chauds. À l’intérieur, il fait très froid. C’est glacial et métallique. Tout est bien rangé. C’est le cerveau d’une mécanique qui ignore la dimension humaine, les sentiments, les émotions, la fantaisie. C’est absolument impeccable. En dehors du froid, il n’y a pas de place où s’asseoir et regarder fonctionner la machine.
J’ai eu l’occasion de pénétrer dans la tête de plusieurs individus célèbres pour leurs méfaits, des dictateurs notamment (Saddam, Kadhafi, Bachar, etc). Mais c’est la première fois que je me trouve face à une énigme. Tout est propre. Pas de poussière. Pas le moindre papier jeté. Il y a des miroirs. Important, les miroirs. Moyen de contrôle. Car tout là-dedans est sous contrôle et je me suis demandé comment ai-je pu entrer dans cet habitat glacial sans être repéré.
Emmanuel est crispé. Il serre les dents et les mâchoires. La peau du visage est légèrement tendue. Les yeux vous fixent. Il sourit, mais très vite ses yeux deviennent sombres. Son regard est celui de l’homme impatient. Pas de temps à perdre. Il a beaucoup de choses à régler dans la journée et une partie de la nuit. Il ne voit pas l’intérêt d’une pause pour un dialogue.
Son cerveau le suit. Mais on sent qu’il lui demande trop. Certaines parties marquent une petite fatigue. Elles ont besoin de sommeil. Or, Emmanuel ne dort que quatre heures, parfois trois heures par nuit.
Au bout de quelques minutes, j’entendis une voix:
– Que fais-tu là?
– À l’Élysée, on ne m’a pas donné de rendez-vous pour te voir, alors j’ai poussé la porte de ta tête et je m’y suis installé. (On se tutoie parce qu’on se connaît depuis 2007, du temps où il était chez la Banque Rothschild).
– Que veux-tu?
– Tu sais bien, Brigitte a dû t’en parler. Je l’ai longuement vue il y a quelque temps dans son bureau à l’Élysée, en présence de son directeur de cabinet.
– Ah, oui, c’est à propos du Maroc que tu es là, n’est-ce pas?
– Oui, les relations franco-marocaines. Elles sont mauvaises, très mauvaises.
– Ce n’est pas de ma faute. J’ai essayé plusieurs fois d’entrer en contact avec le palais, sans succès.
– Normal, tu t’es mal conduit avec le roi.
– Comment ça?
– Tu lui as manqué de respect, et ça, c’est impardonnable. Tu te souviens qu’au début de ton quinquennat, le roi t’avait reçu, toi et ta femme, en famille. C’est un honneur dont tu n’as pas mesuré l’importance et le symbole. Tu n’as rien compris.
– Oui, je sais, mais il m’a fait écouter via le logiciel espion Pegasus.
– Tu te trompes, tu imagines un Souverain s’amuser à écouter un autre chef d’État? Tu sais très bien que ce n’est pas sérieux.
– J’ai des preuves.
– Aujourd’hui on peut fabriquer des preuves de tout. Je sais qu’il t’a assuré qu’il ne t’a jamais fait écouter. À partir de là, tu as voulu te venger du Maroc, avec l’histoire de la restriction des visas, la résolution anti-marocaine au Parlement européen à Strasbourg rédigée par ton ami et conseiller Stéphane Séjourné, la fouille humiliante au Bourget de l’ancien ministre de l’Économie, venu pour ses affaires personnelles. Son jet et ses affaires ont été passés au crible durant plus de quatre heures par la police des frontières au Bourget. Humilié, il a repris son jet et est reparti chez lui.
– De ça, je ne suis pas au courant…
– Bon, tu aurais pu faire un pas envers le roi et lui souhaiter une bonne fête à l’occasion de Aïd Al-Fitr.
– Je t’ai dit, j’ai essayé de le joindre, impossible, personne ne me prend au téléphone.
– Tu aurais pu lui envoyer un télégramme…
– Les télégrammes, ça n’existe plus, aujourd’hui j’utilise un iPhone…
– Il va falloir que tu en tires toutes les conséquences, surtout qu’avec l’Algérie que tu as chouchoutée, les relations ne sont pas bonnes non plus. Le président algérien vient de reporter sa visite, certains disent qu’il l’a simplement annulée. La junte qui le manipule lui demande d’aller faire une visite à Moscou.
– S’il fait ça, je ne le recevrai pas à l’Élysée.
– En attendant, tu t’es mis à dos tout le Maghreb. Ce n’est pas très malin. Non seulement l’écrasante majorité de ton peuple te rejette, voilà que l’ensemble maghrébin ne veut plus de toi.
– Bon, L’Algérie, c’est une question d’agenda. Le Maroc, je n’y suis pour rien, d’autant plus que j’ai nommé là-bas un bon ambassadeur, quelqu’un de très compétent et qui a la fibre orientale. Pourquoi le Maroc n’a pas d’ambassadeur chez nous? Et puis pourquoi le Maroc n’a pas honoré le Salon du Livre en y installant un stand comme a fait l’Algérie?
Après un moment.
– Mais tu trembles!
– Oui, de froid.
– Alors, il ne fallait pas mettre les pieds dans ma tête.
– Je voudrais sortir.
– Je cite un des proverbes de ton pays: l’entrée au hammam diffère de la sortie!
– Dans ce cas-là, je n’ai rien à dire, j’attends que tu m’ouvres la porte.
– Un dernier point, puisque tu as l’air d’être au courant de tout, dis aux Marocains que je suis prêt à venir en visite d’État et que, pour ce qui est du Sahara, je me rangerai aux côtés de l’Espagne. D’ailleurs notre ambassadeur aux Nations Unies a été félicité par le représentant de ton pays parce que la France a mentionné les difficultés de la Minurso sur le terrain. C’est déjà un pas, n’est-ce pas?
– Encore un effort, cher Emmanuel! Brigitte a envie de revenir au Maroc. Elle m’a dit qu’elle aime ce pays.
– Ah, bon ! Je vais réfléchir. Laisse-moi maintenant, je vais à la rencontre des Français. Et ce n’est pas de la tarte.