En face de chez moi, il y avait un ensemble de baraquements moche comme un pou. C’est dommage parce que juste derrière s’étalait le plus grand et le plus ancien espace vert de Casablanca. Cet espace est théoriquement le poumon de la ville, par lequel elle devait expier ses péchés, sa pollution, ses saletés…
Mais il fallait contourner ces baraquements anarchiques, faire attention aux chiens errants et aux pickpockets avant d’y accéder. La nuit venue, il était interdit d’emprunter ce passage, tout le périmètre devenait coupe-gorge.
Et puis un beau jour, sur ordre de la mairie, des bulldozers ont rasé ces excroissances, dégagé la vue et créé une entrée directe vers l’espace vert. Cela a pris quelques jours à peine mais le résultat est extraordinaire.
En un claquement de doigts ou presque, un magnifique square a remplacé un no man’s land fait de bric et de broc. La vue s’est dégagée. Et c’est tout le standing du quartier qui a été rehaussé. Comme par enchantement!
Ce genre d’initiatives peut rallonger l’espérance de vie des passants. Il peut améliorer l’indice du bonheur chez les riverains. Et dès aujourd’hui s’il vous plait, sans attendre le Mondial 2030.
Nous avons des élus locaux, des députés, des gouverneurs, des maires, des armées d’agents et d’auxiliaires, sans parler des associations de quartier et des innombrables bonnes volontés… Si la moitié de ces gens se mettait au boulot, la première ville du royaume deviendrait propre, agréable à vivre, accueillante…
«La colère et la frustration sont comme ce serpent qui se mord la queue. L’une amène à l’autre et la mord sans merci. Que peut-on y faire, alors?»
Bien sûr, le premier jour, quand le square a été inauguré, des inconnus ont vandalisé un banc ou deux et cassé des lampadaires. Le spectacle était désolant. On sait que beaucoup de nos concitoyens s’amusent à tout détruire en donnant l’impression de se venger. En attendant que nos anthropologues se penchent sur ce genre de «réflexe», chacun y va de son interprétation. J’ai la mienne: un peu de colère et beaucoup de frustration. Ou l’inverse.
La colère et la frustration sont comme ce serpent qui se mord la queue. L’une amène à l’autre et la mord sans merci. Que peut-on y faire, alors?
J’imagine l’échange qui a eu lieu au Conseil de la ville, le lendemain. L’un des chefs a du ouvrir la session en s’arrachant les cheveux: «Les gens ont déjà vandalisé le nouveau square, c’est de la mauvaise éducation, peut-être un coup monté… Ils ne sont jamais contents, que veulent-ils à la fin? Que l’on mette des barbelés autour de l’herbe verte ? Que l’on installe une patrouille fixe ou des caméras de surveillance? S’ils continuent à détruire tout ce qu’on est en train de construire, nous ne serons jamais prêts pour le Mondial 2030».
Réponse de l’un de ses adjoints: «Vous l’avez dit, chef. La solution, ce sont les caméras de surveillance. Celui que l’on surprendra en flagrant délit sera réquisitionné en volontaire bénévole au service du pays. C’est toujours mieux que quelques nuits au poste».
L’idée n’a évidemment pas été retenue. C’est une utopie et un concentré de mauvais goût. Mais elle a eu le don de détendre l’atmosphère, en attendant des jours meilleurs.
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