Comment peut-on être aussi naïf? C’est la réflexion que je me suis faite quand deux amis m’ont signalé, indépendamment l’un de l’autre, qu’ils allaient aider notre amie commune B. qui avait besoin, semblait-il, d’un coup de main urgent.
Ça a commencé par un mail que j’ai reçu comme eux et que j’ai immédiatement jeté à la poubelle en haussant les épaules. Vous connaissez le texte, quelque chose comme: «Salut, je dois te parler discrètement, j’ai besoin de ton aide, puis-je compter sur toi?»
Jamais aucun de mes amis ne m’approcherait ainsi. La ficelle est trop grosse.
Pourtant, I. et S. ont réagi. Ils ont reçu une demande tellement farfelue qu’ils ont quand même tiqué. Il s’agissait d’aller dans un bureau de tabac et de demander au buraliste 3 tickets Transcash (aucune idée de ce que c’est) de 250 euros chacun, puis de transmettre à B. (c’est-à-dire à l’escroc nigérian ou russe qui avait piraté son mail) les numéros de ces billets, sous promesse de remboursement par virement sur le compte de B., virement qui serait effectué sans faute à la Saint-Glinglin, parole d’Adewale ou de Boris. L’escroc ne se rendait même pas compte qu’il avait hameçonné des Marocains. Transcash, ça n’existe même pas chez nous, non?
Je ne comprends pas. Ces escroqueries sont vieilles comme le monde. Caïn avait soutiré des picaillons à Abel en se faisant passer pour leur vieille maman tombée dans le besoin –une sombre histoire de pomme et de serpent. La femme de César, pourtant insoupçonnable, avait, paraît-il, grugé Pompée, le rival de son mari. Il y a un siècle (!), on pouvait lire dans le quotidien parisien L’Œuvre daté du 3 avril 1924, page 4, le paragraphe suivant:
M. Issanchou [a été] victime de l’escroquerie dite de la malle espagnole. On est en possession de la lettre qu’avait reçue le négociant toulousain et dans laquelle un mystérieux signataire écrivait: «Prisonnier pour faillite, je viens vous demander de m’aider à sauver une somme de 800.000 pesetas, que je possède, cachée dans une malle, en dépôt dans une gare en France. Il faudrait pour cela que vous veniez ici en Espagne payer les frais de mon jugement afin de lever la saisie de mes bagages et pouvoir ainsi vous emparer d’une valise dans laquelle est caché le récépissé, indispensable pour retirer la malle de la gare. En récompense, je vous abandonnerai le tiers de la somme».
Cette escroquerie est toujours bien vivante, sous des noms différents: Nigerian ‘419′ scam –de l’article du code pénal nigérian qui la réprime–, coup du prisonnier espagnol, Black Money, astuce du prince camerounais, etc. Elle date de Mathusalem, elle porte mille noms et des pigeons se font encore avoir? Incroyable mais vrai: ça arrive tous les jours.
Il faut dire qu’Internet, les réseaux sociaux et les messages électroniques ont considérablement facilité le travail des aigrefins. Il y a quelques décennies, ils devaient encore écrire à la main les lettres, une à une –un travail de bénédictin, si l’on ose dire. Aujourd’hui, ils envoient mille versions du même mail à mille adresses volées dans les contacts d’une adresse mail piratée. Même si seulement 1% des récipiendaires tombent dans le panneau, cela fait à l’arrivée une belle moisson pour le filou.
Alors, que faire? Je suggère de consacrer, chaque année, une demi-journée en première année de collège pour apprendre à nos chères têtes brunes que le monde autour d’eux est peuplé d’arnaqueurs, de fripons et de magouilleurs; et de leur expliquer comment la plupart de ces escroqueries fonctionnent.
Reste à espérer que les cancres, au fond de la classe, ne confondront pas cette activité d’éveil avec un atelier de formation professionnelle…