Analyse. Comment le Covid-19 a ravivé le sentiment national chez les Marocains, mais…

La crise du Covid-19 s'est traduite par un retour du sentiment national chez de nombreux Marocains. . AFP

Fierté quant aux mesures prises pour contrer la pandémie, résilience vis-à-vis de ses effets économiques et sociaux, solidarité tous azimuts…A bien des égards, le coronavirus a réconcilié les Marocains avec leur pays et leurs institutions. Est-ce assez pour rétablir la confiance, notamment des jeunes? Pas si sûr. Décryptage.

Le 05/05/2021 à 21h11

Les indicateurs n’ont pas manqué au fur et à mesure que la pandémie évoluait et que le pays y faisait face. Avec courage et, étonnament, grande efficacité. Les quelques erreurs de communication et autres couacs de gestion ont au final été vite oubliés pour céder à la nécessaire résilience. A l’arrivée, et s’il y a un grand acquis que la crise liée au Covid-19 a généré au Maroc, c’est cette confiance retrouvée des Marocains en leur administration, cette fierté partagée de pouvoir relever nombre de défis, tant sur le plan sanitaire qu’économique et social.

Signe parmi d’autres, la télévision. Ce ramadan, l’engouement des téléspectateurs à l’égard des productions nationales aura rarement été égalé. On l’a vu à travers le véritable succès enregistrés par la récentes séries télévisées diffusées pendant ce mois du ramadan. «Koulna Mgharba» (Tous Marocains), hymne chargé d’humour de ce Maroc pluriel actuellement programmée sur 2M après la rupture du jeûne, a surpassé en audience…l’humoriste Hassan El Fed et sa Fed TV 2, diffusée au même créneau: près de 8 millions de téléspectateurs pour l’un, contre 5,6 millions pour l’autre. C’est dire. Une tendance confirmée le vendredi 30 avril par les chiffres diffusés par le centre interprofessionnel d'audience des médias (Ciaumed) puisque cette même série s’accaparait une part d’audience moyenne de 46,6%.

Autre signe, le made in Morocco semble acquérir de nouvelles lettres de noblesses. A ce titre, les sorties du ministre de l’Industrie, du commerce de l’économie verte et du numérique au Parlement, défendant bec et ongles le tissu productif, et les talents marocains, font un tabac sur la Toile. Moulay Hafid Elalamy y parle de fuselages d’avions, des câbles et même de pièces de réacteurs fabriqués au Maroc, d’un taux d’intégration de 60% réalisé dans l’automobile produite localement, d’ingénieurs marocains capables de produire des bornes de recharge pour voitures électriques à 100% marocaines. Et cela plaît. Conséquence, chaque jour de nouvelles marques, petites et grandes, naissent, qui, profitant de ce nouveau paradigme, se réclament fièrement du Made in Morocco.

Des lions face aux crises…et l’adversité«Il est vrai que certaines décisions de dernières minutes ont failli entamer cette foi retrouvée, comme c’était le cas de l’interdiction du circuler entre les villes, annoncée la veille de la Fête du sacrifice, mais, globalement, la bonne gestion de l’épidémie dont le pays a fait preuve a fait renaître de l’espoir et de la fierté chez la majorité des Marocains. Il y a eu de la proactivité en matière de mesures sanitaires, de mobilisation des forces de l’ordre, de fabrication de masques et de respirateurs, mais aussi et surtout, d’acquisition des vaccins anti-Covid… et sur bon nombre de ces aspects, le Maroc a été le premier en Afrique et dans le monde arabe», résume le Dr. Mohcine Benzakour, psycho-sociologue et médiateur.

Véritable seconde nature chez les Marocains, la solidarité ne s’est jamais démentie en ces temps de crise. Il y a certes eu les mesures d’aides adoptées par les pouvoirs publics. Mais il y a également eu de l’entraide, beaucoup d’entraide. Preuve en est la littérale explosion des transferts des Marocains résidant à l’étranger. Comptez +41,8% au cours des trois premiers mois de l’année 2021, atteignant 20,89 milliards de dirhams à fin mars, contre 14,73 milliards de dirhams pour le même période 2020, selon les derniers chiffres de l’Office des changes.

Le plébiscite reçu de par le monde de la gestion par le Maroc de la pandémie et de ses effets a fait le reste, les Marocains ayant pour deuxième nature de se voir à travers leur reflet chez «l’autre».

Solidaires et fiers en temps de crise, les Marocains le sont d’autant plus face à l’adversité. «Nous l’avons vu lors du protectorat, quand les autorités coloniales ont décidé de déporter feu le roi Mohammed V. Tout le peuple s’est alors levé et on a assisté à partir de là à l’éclatement de la lutte pour l’indépendance. Nous l’avons également vu quand feu Hassan II a appelé à la Marche verte. Je me souviens que les bureaux d’inscription des volontaires à cette marche ont dû fermer deux jours seulement après leur ouverture, le nombre de marcheurs requis ayant été largement dépassé», rappelle le Dr. Chakib Guessous, socio-anthropologue. Nous l’aurons également vu à la lumière des réactions sur les réseaux sociaux de Marocains lambda vis-à-vis des provocations du pouvoir algérien et ses guignols séparatistes quant au Sahara. Le rétablissement de la circulation au poste-frontière d'El Guerguerat par les Forces armées royales, en novembre 2020, a pris des allures de fête populaire. Au point que le tube «Daq Tem» («Ça envoie du lourd, là-bas»), du chanteur de chaâbi Hajib, en hommage à la réaction de armée marocaine, a pendant longtemps été le hit du moment à cette période.

«Les moments de forte tension sont également les étapes où les Marocains font le plus preuve de cohésion et de responsabilité. Et le sentiment d’appartenance est structurel au sein de la société», analyse le Dr Guessous. Il en veut pour démonstration le respect quasi-général du premier confinement décrété par les autorités aux débuts de la pandémie, «alors que partout, c’est surtout l’incompréhension et le choc qui régnaient vis-à-vis d’un phénomène nouveau».

On ne peut compter que sur soi-mêmeFait peu commun, et qui promet que ce sentiment national aura une suite, un langage de vérité et une certaine culture du débat national commencent à s’installer autour de thématiques tantôt épineuses, comme la réforme du système public de santé, tantôt sensibles, comme la légalisation de la culture du cannabis. Hormis les résistances obéissant à des considérations corporatistes ou idéologiques, les vraies questions sont posées. «Chaque pays s’est rendu l’évidence qu’il ne pouvait, en grande partie, compter que sur ses propres ressources. D'où ce retour du sentiment national, constaté de par le monde, et qui s’accompagne souvent par la levée de certains tabous», constate le Dr Mohcine Benzakour.

Mais que l’on ne s’y trompe pas. «Il y a le sentiment, mais il y a aussi la réalité. Et celle-ci veut qu'il y a quelques jours à peine, des dizaines de Marocains ont été repêchés de justesse quand ils ont voulu passer clandestinement en Espagne via Sebta. Sans compter le chômage galopant et la perte de plusieurs dizaine de milliers d’emplois suite à la crise du coronavirus. Tout cela nous rappelle que bien des problématiques, essentielles, ne sont toujours pas résolues», nuance Dr. Benzakour A cela s’ajoute le fait que ceux qui portent ce nouvel espoir, à savoir la classe moyenne, ne représentent pas toute la population. «Les plus démunis sont exclus de facto de cette effervescence puisque pour eux, la situation ne change pas, voire se détériore», ajoute-t-il.

Chakib Guessous abonde dans le même sens. Pour lui, cette fierté retrouvée ne peut, à elle seule, rétablir la confiance des Marocains dans leurs institutions, à commencer par les corps élus et le gouvernement. «C’est le rôle de la classe politique et, dans une certaine mesure, des médias. Un indicateur suffit à donner la mesure de la difficulté de cette tâche: les jeunes, et c’est le nerf de la guerre de toute transformation positive, représentent, à tout casser, 2% des effectifs des partis politiques», indique le socio-anthropologue. Un début de changement par rapport à cette anomalie serait que la classe politique adopte un autre langage, celui de la vérité, un autre comportement, celui de l’inclusion et une valeur perdue: l’éthique. Tout un programme et, prochaines élections de septembre prochain obligent, demain commence maintenant.

Par Tarik Qattab
Le 05/05/2021 à 21h11