À Tiflet, une enfant de 11 ans a été violée à répétition par trois individus, de longs mois durant, avant de tomber enceinte et d’accoucher d’un garçon. Et ce n’est qu’à la fin que l’affaire a été portée devant la justice.
Cette histoire a fait le tour du monde pour deux raisons. Il y a l’extrême gravité des faits et il y a cet ahurissant verdict de la justice en première instance: 18 à 24 mois de prison pour les violeurs, soit cinq ans de prison distribués au total.
La disproportion entre les faits et les sanctions a été aggravée, si l’on peut dire, par les «circonstances atténuantes» que la justice a bien voulu accorder aux violeurs! Que dire?
Affaire monstrueuse et jugement encore plus monstrueux: voilà ce que toute personne normalement constituée a pu ressentir. Fin du chapitre 1.
Le chapitre 2 a commencé avec la campagne de dénonciation du verdict et de soutien à la victime, aujourd’hui âgée de 13 ans. Beaucoup de personnes sincères ont prêté leurs voix et leurs plumes pour corriger ce qui peut l’être.
Le jugement en appel, qui vient de tomber, a ainsi distribué un total de 40 ans de prison aux trois violeurs (20 + 10 + 10), contre 5 ans seulement en première instance. Les peines ont donc été multipliées par huit!
Bien sûr, le premier réflexe est d’applaudir: les lourdes peines vont dans le sens de la restauration de l’honneur et de la dignité bafouée de la victime et de sa famille. Ces peines serviront d’exemple pour dissuader les violeurs potentiels qui courent les rues. Mais…
Parce qu’il y a un «mais». Voire deux.
Que va devenir la jeune victime, l’une des plus jeunes mamans (malgré elle) du Maroc, que va devenir son bébé? Comment devra-t-elle faire au quotidien, elle et sa famille, sachant que les familles des agresseurs font partie de leur voisinage?
Sur un autre plan, il y a de quoi se poser des questions sur le fonctionnement de la justice marocaine, et surtout sur la marge de manœuvre (ou d’erreur) dont peut disposer un juge. Nous savons tous que les procès en appel ont une vertu «correctrice», contredisant parfois les jugements en première instance, mais pas à ce point…
Si on part du principe que les deux tribunaux rendent justice et appliquent la loi, on en arrive à une conclusion qui fait froid dans le dos: quand, entre la première instance et l’appel, les écarts vont du simple à l’octuple, alors que les chefs d’accusation-inculpation n’ont pas été requalifiés, c’est que la marge de manœuvre accordée aux juges frôle l’indécence.
C’est comme si un médecin posait un diagnostic en s’accordant une marge d’erreur ou d’interprétation de 800%. Ce n’est pas possible.
Il faut absolument travailler à réduire cet écart, cette marge. C’est ce que nous dit en substance l’affaire de Tiflet, qui nous ouvre les yeux sur la nécessité de protéger l’enfance, de sévir réellement contre les crimes sexuels, de changer les lois… Et de faire évoluer les mentalités de ceux qui les appliquent.