Abderrahim Bourkia, sociologue, écrivain, consultant en déviances et contextes sociaux, et professeur à l’Institut des sciences du sport à l’Université Hassan Ier de Settat, vient de publier la deuxième édition de son livre «Des ultras dans la ville».
Il s’agit d’une analyse sociologique des profils des supporters des deux clubs casaouis, mettant l’accent sur le phénomène de projection et d’identification où beaucoup de fans des deux côtés pourront se retrouver facilement. La fonction dérivative du football a également été mise en exergue, à travers son rôle d’exutoire et sa fonction canalisatrice de la violence. Il en parle plus dans cette interview pour Le360.
Parlez-nous de votre livre «Des ultras dans la ville».
Il s'agit d'une enquête sociologique sur un aspect de la violence urbaine à Casablanca (hooliganisme, ndlr). J’ai entamé ma recherche en 2009 pour la préparation de ma thèse doctorale, à la Faculté Aïn Chock, sur ce sujet. J’ai pu faire ma soutenance en janvier 2015. Après, j’ai décidé de publier un livre qui relate cet engouement de jeunes Marocains pour soutenir un club de foot.
Pourquoi une deuxième édition?
J’ai sorti cette deuxième édition pour actualiser certains éléments. Depuis la publication de la première, plusieurs événements se sont passés, notamment l'avènement de la crise sanitaire qui a porté un coup au mode de vie des ultras. J’ai donc suivi l'activité des ultras et tracé comment ils ont passé cette période de «détresse», étant donné que leur place normale et naturelle est dans les stades.
Il faut savoir que les ultras ont pu trouver d’autres moyens pour continuer leur activité supportrice, notamment à travers des vidéoconférences avec les entraîneurs et les joueurs et des discussions sur les forums et les réseaux sociaux.
Le côté «protestations» était aussi présent. Les ultras formulaient ainsi des messages sur des banderoles qu’ils cherchaient à déposer devant les locaux de leurs clubs.
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En parlant des activités supportrices, y a-t-il, par ailleurs, un profil type des ultras?
Il n'y a absolument pas de profil type de supporters. Ils sont recrutés dans toutes les couches sociales, mais on trouve, cependant, une prédominance des jeunes urbains (13-25 ans) issus de quartiers populaires (familles un peu modestes). Nous ne sommes donc pas face à un public homogène.
Parlez-nous de la violence dans les stades.
Les actes de violence sont différents. Certains sont inhérents aux activités des ultras, mais il y en a d’autres qui n’ont rien à voir avec ces groupes. Pour ces premiers actes, il faudra savoir que selon les conventions de ces supporters, l’usage de la violence n’est pas exclu. Certains cherchent toujours à voler les emblèmes des autres, tels que les drapeaux.
Ce sont des activités qui débouchent sur des bagarres et des affrontements physiques. Parfois, il y a aussi des joutes oratoires entre les supporters antagonistes. Une violence symbolique (une interaction ou une prise de bec) peut donc générer, de temps en temps, une violence physique (des affrontements).
Il y a également une violence qui s’invite dans les stades, qui n’a rien à voir avec les activités des ultras. Elle est davantage liée à la construction psychologique du jeune urbain. Pour lui, qui n’a pas les moyens, aller aux stades est une aubaine pour s’adonner à de petites manœuvres, notamment à voler. Cela donne l'occasion à certains de se défendre ou carrément de chasser ces Zerramas (voleurs) du virage.
Quelles sont les revendications politiques, socio-économiques et culturelles des supporters?Je répondrai à cette question dans mon nouveau livre «L’autre visage des ultras», où je fais un focus sur les revendications politiques, socio-économiques et culturelles des supporters. On se focalise souvent sur cet aspect de violence, alors qu’il s’agit uniquement de la partie visible de l’iceberg. Le côté «actions collectives» doit aussi primer.
Ces supporters ne sont pas déconnectés de ce qui se passe au sein de la société. C’est un fait que l’on remarque dans les chansons protestataires, telles que «Fbladi Dalmouni» et «L9lb 7zin», entre autres, mais aussi dans les banderoles et les tifos. Ceci est important à évoquer. D’ailleurs, j’ai déjà ouvert une brèche avec mon premier livre «Les ultras dans la ville», mais je me suis dit: pourquoi ne pas faire ce focus et me concentrer sur cette problématique dans un livre?
Quels sont vos projets d’avenir?
Je compte faire un documentaire sur les ultras, avec un ami en France, notamment sur leur profil et ce qu’ils essayent de mettre en forme. Il suffit de trouver des subventions pour bien démarrer en septembre.
J’ai aussi élaboré le synopsis d’une fiction urbaine, pour une productrice italienne. Il s’agit d’une histoire d’amour entre deux supporters des clubs du Raja et du Wydad, où l’on va trouver le mode d’expression chez les jeunes, la violence urbaine et la vie sociale de ces jeunes urbains issus de familles défavorisées.