Hooliganisme au Maroc: ce mal auquel doit faire face le football national

Abderrahim Bourkia, sociologue, écrivain, consultant en déviance et contextes sociaux, et professeur à l’Institut des sciences du sport à l’Université Hassan 1er de Settat.

Abderrahim Bourkia, sociologue, écrivain, consultant en déviance et contextes sociaux, et professeur à l’Institut des sciences du sport à l’Université Hassan 1er de Settat. . Adil Gadrouz / Le360

Le 06/04/2022 à 21h45

VidéoC'était vraisemblablement une erreur de croire que les stades marocains en avaient fini avec le hooliganisme. Le phénomène est en effet revenu depuis quelque temps, en force, avec son lot de dégâts non-négligeables. Qu’est-ce qui explique ces scènes d’émeutes urbaines? Que faire pour en finir avec ce fléau? Les réponses d'un sociologue.

Beaucoup de Marocains, qui avaient accueilli avec joie et enthousiasme la réouverture des stades au grand public, risquent d'être déçus. Le hooliganisme est en effet de retour avec son lot de dégâts. Ainsi, en l’espace de trois semaines, trois matchs ont été émaillés de violence, causant des blessures à plus d’une centaine de personnes.

Selon la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN), ce sont 160 personnes qui ont été blessées, dont 103 parmi les forces de l’ordre, lors du match qui a opposé, le 13 mars dernier, l’AS FAR de Rabat au MAS de Fès. Rebelote le dimanche 20 mars 2022, lors de la rencontre entre le club Hassania d’Agadir et le FUS, où cette fois-ci le bilan s’élève à une dizaine de blessés, dont encore des policiers.

Mais ce n’est pas tout. D’autres actes de violence et de vandalisme ont été constatés lundi 4 avril 2022, après le match de la Ligue des champions d’Afrique, qui avait opposé, la veille, le Raja de Casablanca aux Algériens de Wifak Sétif.

Ainsi, après deux années de compétition sans public en raison de la pandémie du Covid-19, ceux qu’on appelle hooligans ont frappé fort, interpellant l’opinion publique et de hauts responsables. Quelles sont donc les causes derrière ce phénomène? Que faire pour en finir avec ce fléau?

Abderrahim Bourkia, sociologue, écrivain, consultant en déviance et contextes sociaux, et professeur à l’Institut des sciences du sport à l’Université Hassan 1er de Settat, tente d’exorciser ce phénomène. «Le hooliganisme est une pathologie anglaise, mais pour le marocaniser, nous pouvons dire que c’est une manière d’être chez certains supporters, qui en dehors des résultats de leurs équipes, s’adonnent à des actes de violence». 

Mais pour expliquer les raisons qui ont abouti à ces actes de vandalisme, l’expert en sociologie indique que «les groupes des ultras, connus sous le nom de hooligans, s’adonnent à la violence pour prouver leur existence, mais pas que. Ils agissent aussi parfois par imitation, c’est-à-dire qu'après avoir vu ce qui s'est passé à Rabat et comment cela a été repris par les médias, ils ont décidé de faire pareil, ailleurs».

Certes, certaines activités de ces groupes ultras s’inscrivent dans un cadre de violence, mais le hooliganisme demeure un mouvement à part entière. «Un ultra est un supporter qui s’engage avec son amour, son temps et son argent pour soutenir son équipe, et qui peut par moment intenter des actions de violence, tandis qu’un hooligan cherche toujours l’occasion de s’adonner à des bagarres, de se bastonner, de caillasser les bus et de dégrader les biens publics et privés», fait savoir Abderrahim Bourkia. 

Or, ces actes de violence, qui sont majoritairement perpétrés par la jeunesse marocaine, sont la parfaite expression d’une certaine colère refoulée, car rien que pour le match du 13 mars dernier ayant opposé l’AS FAR et le MAS de Fès, ils étaient 18 mineurs à être poursuivis pour constitution d’une bande criminelle, dégradation d’un bien destiné à l’utilité publique, tentative de viol, vol qualifié et outrage à des fonctionnaires publics. Certains ultras optent pour le côté artistique en chantant les louanges de leurs clubs fétiches, alors que d'autres mécontents préfèrent venger une défaite en y mêlant la violence et la colère éprouvée tous les jours.

«Notre jeunesse va mal, elle est en train de vivre un malaise, et il est primordial de remédier à ça le plus tôt possible, parce que si nous voulons réellement lutter contre ces actes de violence, nous devons principalement travailler et en profondeur surtout, avec les jeunes âgés entre 6 et 13 ans», déplore notre intervenant, notant «qu’il faut vraiment se poser les bonnes questions et chercher à savoir dans un autre espace-temps, comment ces jeunes ont été socialisés de cette manière et ce qui les a poussé à agir d’une telle manière».

Ainsi, pour remédier à ces actes de violences, une approche sociale s’avère nécessaire pour cerner les réelles causes derrière ce mal de plus en plus présent, et auquel fait face le football national. «Il est important de revenir aux agents primaires de la socialisation, à savoir la famille et l’école. Ce jeune qui s’adonne à cette pratique de hooliganisme s’est socialisé à une manière d’être, de faire et de s’exprimer de manière violente qui est en désaccord avec les normes et les conventions sociales», précise notre intervenant. 

Pour ce professeur de l’Institut des sciences du sport à l’Université Hassan 1er de Settat, le stade constitue un espace de liberté pour les jeunes et less supporters dans lequel ils s’expriment ouvertement. Toutefois, ces actes de violence ne sont pas principalement inhérents aux activités des ultras. «Par moment, ce sont des voyous et des malfaiteurs qui s’adonnent au vol pour semer la pagaille et la zizanie. Dans ce cas-là, ce n’est pas le stade qui fabrique de manière endogène la violence», conclut le sociologue.

Par Yousra Adli et Adil Gadrouz
Le 06/04/2022 à 21h45