La réponse du peuple algérien aux récentes décisions et propositions du président Abdelmadjid Tebboune a été cinglante. Ni la dissolution de l’assemblée nationale, ni le remaniement gouvernemental (à la fois très partiel et très partial), ni la libération de détenus politiques innocents, et autres décisions de dernière heure n’ont empêché les Algériens de manifester massivement, en ce 22 février, dans les artères de toutes les grandes villes du pays (Alger, Annaba, Tébessa, Bejaia, Tizi Ouzou, Bouira, Boumerdes, Sétif, Oran, Tlemcen, Sidi Bel Abbès, Bouira, Mostaganem, Constantine…).
Cette démonstration de force a été également une réponse claire aux récentes manœuvres de hauts gradés de l’armée dont toutes les tentatives de diversion ont lamentablement échoué, tout en creusant davantage le fossé qui les séparent du peuple.
Leur dernière manigance en date n’est autre que le communiqué du ministère algérien de la Défense, qui a accusé, dimanche dernier, le Maroc d’avoir laissé entendre que l’armée algérienne allait se déployer au Sahel dans le cadre de l’opération antiterroriste dite «Takuba», sous le parapluie français. Or, c’est le président français Emmanuel Macron qui l’a affirmé publiquement, lors d’une conférence de presse.
Stérile a également été la mise en scène télévisée dans laquelle un présumé terroriste, tout droit sorti des bottes des «services» de l’armée algérienne, a accusé, mercredi dernier, le Hirak d’être de mèche avec les djihadistes pour comploter contre le pouvoir algérien. Les manifestants, qui ont battu le pavé hier, lundi 22 février, dans la quasi-totalité des agglomérations en Algérie, ont fait des gorges chaudes de la grotesque mise en scène de ce présumé terroriste, nommé Abou Dahdah.
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Ces délires ont continué encore en ce même lundi, sur la chaîne de télévision publique algérienne (ENTV) qui a choisi la fuite en avant en réactualisant les mêmes techniques du régime Bouteflika pendant les premières marches de 2019. La chaîne publique a salué «le Hirak béni authentique», mais a accusé des voix d’avoir cherché à l’instrumentaliser à des fins occultes. Cela rappelle exactement la couverture dont a fait l’objet le Hirak dans les médias publics algériens lors des premières manifestations qui ont succédé au 22 février 2019. S’agit-il d’un remake qui annonce déjà la fin imminente de Abdelmadjid Tebboune?
En tout cas, deux slogans phares ont été scandés ce lundi par les manifestants: «dawla madanya machi 3askaria» (un Etat civil, pas militaire) et «Tebboune Lmzawer, jabouh l3asker» (Tebboune est illégitime, il a été placé par les militaires). Ces deux slogans ont été scandés dans toutes les grandes villes d’Algérie, montrant que la revendication principale du Hirak est l’instauration d’un régime civil à la place du régime militaire, en vigueur dans le pays depuis le coup d’Etat, en 1965, du colonel Mohamed Boukharouba, qui prendra le nom moins rêche de Houari Boumédiène.
Les autres slogans versent dans le même sens: «Nous ne sommes pas venus pour faire la fête, mais pour réclamer votre départ», «Y’en a marre des généraux», «Vous dégagerez tous!», «l’heure fatidique a sonné», «Algérie, libre et démocratique», «l’Algérie retrouve son indépendance, à bas les généraux».
Mais bien que le peuple ait montré qu'il voue les généraux aux gémonies, les autorités algériennes ont récupéré la date du 22 février et l'ont décrétée «Journée nationale de la fraternité et de la cohésion peuple-armée pour la démocratie».
Comment va évoluer le divorce entre l’armée des généraux et le peuple? Que peuvent donner les généraux à la rue pour apaiser l’ardeur des revendications? Le président Tebboune? Peu probable que la rue se satisfasse d’un président, considéré comme illégitime, et imposé par les généraux. Que les généraux cèdent le pouvoir aux civils et s’occupent des missions traditionnellement dévolues à une armée? Ne sont-ils pas déjà bien trop mouillés dans des affaires de corruption et de népotisme, pour prendre le risque d’encourir une possible reddition des comptes?
Il y a toujours la possibilité de négocier une transition apaisée d’un régime militaire à un Etat civil, moyennant une amnistie ou autre. Le cas du général Pinochet, qui a cédé le pouvoir aux civils au Chili, sans coup férir, est un modèle de transition entre une dictature militaire et un pouvoir civil. Mais encore faut-il que les généraux veuillent passer la main aux civils. Les prochains jours vont montrer comment les généraux vont gérer la pression de la rue.
En tout cas, les généraux savent qu’ils devront, d’une façon ou d’une autre, répondre à la principale revendication du peuple algérien: «Un Etat civil et non militaire».