Registre national de la population (RNP) et Registre social unifié (RSU). Deux concepts développés et gérés par le ministère de l’Intérieur qui, il y a encore peu, relevaient encore du mystère quant à leur nature, leur fonctionnement et leur utilité. Mais depuis l’entrée en vigueur des premières mesures dont ils sont le socle, notamment les aides sociales directes et l’assurance maladie obligatoire généralisée, les deux formules sont sur toutes les langues. Au même titre que l’indice socio-économique qui en est l’émanation, le fameux «Mouachir», devenu une véritable devise nationale permettant d’accéder aux nouveaux dispositifs sociaux.
Les chiffres sont là pour le prouver. De source autorisée, Le360 apprend que, depuis leur lancement il y a 18 mois, le RNP compte 21,5 millions d’inscrits, alors que le RSU liste 5 millions de ménages, équivalant à 18 millions de Marocains. L’écart entre les deux chiffres s’explique par le fait que les personnes inscrites sur le RNP ne le sont pas systématiquement sur le RSU, ce dernier jouant surtout le rôle de filtre pour les programmes sociaux en place.
Résultat, justement, ils sont 11 millions à bénéficier d’aides sociales directes, et 10 millions à profiter de l’assurance maladie obligatoire (AMO Tadamoune). Preuve du succès et de la fiabilité du RSU, d’autres programmes sociaux sont venus s’y greffer, à l’image de l’octroi des bourses universitaires (Minhaty) et l’AMO Chamil, dispositif d’assurance maladie englobant de larges couches sociales auparavant exclues de toute couverture santé.
RNP et RSU, késako?
Le Registre national de la population et le Registre social unifié étant le socle de l’État social voulu par le roi Mohammed VI, ils bénéficient d’une attention particulière du Souverain. Ils s’inscrivent dans le cadre d’une réforme globale de tous les dispositifs de protection sociale au Maroc. Le système qui prévalait dans le passé a été construit, depuis l’indépendance, par un effet d’accumulation, chaque dispositif obéissant à un besoin spécifique à une époque donnée.
À l’arrivée, le Maroc s’est retrouvé avec pas moins de 120 programmes sociaux, gérés par plusieurs ministères et départements. Au manque de vision intégrée se sont ajoutés une faible efficacité et, en définitive, un impact des plus relatifs sur la population.
Chaque dirham investi est tracé
«La fragmentation des programmes faisait parfois que nous nous retrouvions avec deux systèmes servant le même objectif. Certains citoyens en bénéficiaient, et pas d’autres, de manière pratiquement aléatoire. Sans parler de la soutenabilité et de la fragilité du système qui en menaçaient jusqu’à l’existence», explique notre source. La réforme s’est avérée plus que nécessaire. Il fallait donc mettre sur pied un système qui commence par le bas, via l’identification des personnes aptes à bénéficier des mesures sociales. D’où la naissance du RNP et du RSU, qui obéissent à trois objectifs. Le premier est le ciblage, à savoir la définition des personnes à même de bénéficier des aides sociales. Le deuxième n’est autre que la simplification. Auparavant, bureaucratie oblige, pouvoir bénéficier d’un programme social donné relevait du parcours du combattant. Et il fallait fournir nombre de justificatifs pour adhérer à chaque dispositif. Le troisième objectif est l’efficacité et l’efficience du système. Aujourd’hui, le RSU permet à l’État de tracer chaque dirham investi et de mieux planifier ses politiques sociales.
Deux piliers de l’État social
Le RNP est un système d’information qui sert à identifier les personnes, et sur lequel chaque citoyen souhaitant bénéficier d’un programme social doit être impérativement inscrit au préalable. L’avantage qu’offre ce registre est son inclusivité, puisqu’il intègre l’ensemble de la population, à l’échelle de l’individu, du dernier-né au plus âgé, chacun portant un identifiant qu’il conservera à vie.
Transversal, le RNP permet de s’assurer de l’unicité de la personne, notamment à travers la collecte de données biométriques comprenant le scan de l’iris. Il s’agit ainsi d’un système d’authentification en ligne en temps réel, un outil essentiel à un projet autrement plus vaste et plus important: la digitalisation. Il a de plus été pensé pour être orienté vers les programmes sociaux: si un projet comme AMO Tadamoune est une réussite aujourd’hui, c’est aussi parce qu’il suffit de s’enregistrer et de s’authentifier en ligne à travers son identifiant RNP pour en bénéficier.
Le RSU obéit quant à lui à une logique de «ménage», plutôt qu’à celle de l’individu. Le chef de famille y inscrit ainsi tous les membres de son ménage, en renseignant les identifiants RNP propres à chacun, ainsi qu’un certain nombre de données socio-économiques. C’est sur la base de ces données qu’un indice socio-économique est accordé à chaque ménage, le fameux «Mouachir».
On l’aura compris: le parcours consiste d’abord à s’inscrire au RNP. La démarche est effectuée physiquement, soit auprès de l’annexe administrative, notamment aux fins de relever les données biométriques. Chaque annexe administrative dispose d’un Centre de service aux citoyens, où quelque 5.200 cadres et agents sont mobilisés à cette fin à travers le pays. Vient ensuite le registre social unifié, une démarche effectuée par le chef de ménage et 100% digitale -avec toutefois la possibilité de s’en acquitter auprès de l’annexe administrative. Une fois les informations demandées renseignées, ledit chef de ménage reçoit son indice socio-économique et, partant, peut s’inscrire en fonction de son éligibilité aux différents programmes sociaux, sans avoir à fournir de justificatifs. D’ailleurs, même au niveau du RSU, aucun justificatif n’est demandé. C’est là un changement majeur de paradigme au niveau de la relation administration-citoyen.
Une approche basée sur les dépenses: «Mouachir», mode d’emploi
La formule de calcul de l’indice socio-économique (ou «Mouachir») a été élaborée par le Haut-Commissariat au plan en se basant sur des statistiques et des enquêtes fiables. L’approche est basée non pas sur les revenus, mais sur les dépenses propres à chaque ménage. «Ce que nous recherchons, c’est d’établir des estimations quant aux dépenses, car près de 80% des concernés ne peuvent justifier de revenus stables ou déclarés, notamment parce qu’ils travaillent dans le secteur informel», souligne notre source. Cet indice est calculé suivant trois composantes: le ménage (ses caractéristiques et sa composition), la région (un ménage habitant à Casablanca n’étant en rien comparable à un ménage de la région de Draa-Tafilalet par exemple) et le milieu. La somme de ces trois composantes compose l’indice socio-économique.
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Comment? Lorsque le ménage s’inscrit, il doit renseigner un certain nombre de questions, par exemple sur ses factures annuelles d’eau et d’électricité, ou encore sur ses dépenses relatives à la téléphonie, le nombre et la superficie des pièces dans son habitation et la présence de certains biens d’équipements… Ces critères ont été établis par le HCP et sont fortement corrélés avec d’autres. «Pour établir le questionnaire, les enquêteurs du HCP ont passé des jours entiers avec les ménages en question, en fixant quelque 1.000 variables consolidées au sein de grands ensembles, afin d’arriver à la trentaine de questions auxquelles le ménage se doit de répondre. Dans les deux cas, nous arrivons au même résultat», explique notre source.
Et c’est ainsi que l’indice va résumer, avec une certaine précision, le niveau socio-économique du ménage. En face, et en fonction des ressources allouées et du budget imparti, un programme donné va fixer un seuil précis pour pouvoir en bénéficier. Un pourcentage de la population cible est alors fixé. Par exemple, pour AMO Tadamoune, le seuil du «Mouachir» est établi à 9,32, contre 9,74 pour l’aide sociale directe. Si l’indice d’un ménage donné est inférieur au seuil défini par un programme, il y est donc éligible, même si d’autres critères entrent en jeu pour pouvoir effectivement en bénéficier.
«Le vrai challenge était d’inscrire au préalable le maximum de citoyens avant même le lancement des nouveaux programmes sociaux. C’est ce qui a permis un enclenchement fluide des programmes en question, notamment celui de l’aide sociale directe, entamé en novembre dernier. Le travail de préparation et d’identification des bénéficiaires a été lissé sur toute l’année qui a précédé», relève le responsable.
Une polémique? Quelle polémique?
Certains peuvent certes contester des données et les seuils définis pour chaque programme. D’ailleurs, des voix se sont élevées pour mettre en doute la fiabilité du «Mouachir». Si des recours existent, les explications quant à ce phénomène sont ailleurs. «Il peut par exemple arriver que le système, connecté à la Narsa, affiche qu’un citoyen donné dispose d’une voiture, alors qu’il l’avait déjà vendue. Ce genre d’incident peut se produire le temps que la Narsa mette à jour cette donnée précise dans son propre système d’information. Le citoyen peut dans ce cas contester l’indice en présentant ses justificatifs, et la situation, ainsi que l’indice y afférent, est d’emblée régularisée», ajoute notre source.
La mise à jour des données peut être effectuée soit par le citoyen concerné, en cas de changement de situation, soit par le système lui-même. De par la loi, une mise à jour est effectuée au moins une fois par an, et ce, de manière régulière via une connexion aux réseaux des organismes partenaires (Conservation foncière, Narsa…). C’est même dans l’ADN de la logique de la protection sociale, le dispositif étant avant tout un filet social et non un mécanisme d’assistanat.
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«On s’attendait à ce que des polémiques émergent autour de l’indice socio-économique, le concept étant par définition nouveau et l’enjeu pour les ménages étant important, puisque c’est un élément de base dont dépend leur éligibilité à un programme aux effets concrets. Nous parlons d’argent. Ne parlons pas de l’inflation des fausses craintes et autres fake news», commente notre interlocuteur. Les données sont fiables et stabilisées, bien loin des indices boursiers qui montent et descendent à grande vitesse.
AMO Achamil, un cas d’école
À lui seul, le programme AMO Achamil montre toute la pertinence du RNP et du RSU, dans la mesure où il bénéficie à de larges catégories sociales auparavant exclues de toute forme de couverture santé. Comprendre toutes les personnes qui ne sont ni fonctionnaires, ni salariées ni appartenant à des professions libérales, mais qui ne peuvent justifier un seuil à même de les intégrer à AMO Tadamoune. L’effectif comprend notamment ces millions de Marocains qui travaillent dans l’informel ou encore les agriculteurs…
AMO Achamil est ainsi un système qui permet d’inclure ces personnes via une cotisation qui est fonction de leur indice socio-économique. «Ce dispositif a cela de révolutionnaire qu’il permet à tout le monde d’accéder à une couverture santé. Nous parlons de pans de la société qui, au demeurant, étaient solvables, mais auxquels aucune alternative n’était proposée», explique ce haut responsable. Lancé en janvier dernier, le programme a jusqu’ici bénéficié à plus de 51.000 personnes, avec une vitesse de croisière prévue au fur et à mesure qu’il gagnera en notoriété.
Changement de paradigme
La mise en place du RNP et du RSU introduit une véritable révolution culturelle au Maroc sur différents plans. Le premier est que les citoyens sont désormais informés de l’existence même des aides sociales. Aujourd’hui, on ne parle plus que du Mouachir. «C’est en soi un gain important», résume notre source.
La simplification et la transparence du parcours constituent également un changement de taille. En dehors de la première inscription au RNP, qui nécessite un déplacement, l’enregistrement aux programmes sociaux en place se fait en ligne et prend désormais quelques minutes, chrono en main. Le facteur humain, et les potentielles mauvaises pratiques n’entrent plus en jeu dans le processus, les données relatives à l’indice socio-économique étant et restant objectives.
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La digitalisation y joue un rôle fondamental. Tout est plus simple, de l’inscription au retrait des aides ou des remboursements AMO auprès du point de proximité. «Si nous disposions de cet outil du temps de la crise du Covid-19 par exemple, toutes les tracasseries relatives aux aides sociales d’urgence de l’époque auraient été évitées», pointe notre source. Quant aux craintes exprimées sur des blocages, liées notamment au taux encore important d’analphabétisme ou au faible accès aux technologies de l’information, le nombre d’inscrits aux RNP et au RSU prouve qu’elles étaient au moins exagérées, sinon hors de propos. «Nous parlons de couches sociales les moins nanties. Le citoyen est prêt et s’adapte facilement. Et ce qu’il faut retenir, c’est ce que c’est à l’administration de franchir le pas», relève notre source.
La vérification à la charge de l’administration
Ce chantier a également permis une grande interopérabilité entre plusieurs administrations et services. Si une plateforme comme JISR, élaborée par l’Agence de développement du digital, et qui permet de connecter entre eux des établissements partenaires, publics et privés, est aussi efficace aujourd’hui, c’est grâce au RNP et au RSU qui en ont élargi l’usage à une échelle nationale.
L’absence de justificatifs exigés pour les souscripteurs suppose des moyens de vérification. Aujourd’hui, le système est connecté à 30.000 partenaires, avec des centaines de milliers de transactions par jour. Là encore, il s’agit d’un changement de paradigme, la vérification étant désormais à la charge de l’administration. «Et il est certain que d’autres organismes et administrations vont suivre, le système ayant prouvé non seulement son efficacité, mais aussi sa fiabilité. Un système comme le RSU, qui concerne aujourd’hui 18 millions de Marocains, a balisé le terrain pour les autres administrations», se réjouit notre responsable. Autant dire que nous n’en sommes qu’au début d’un changement qui s’annonce radical dans le rôle et le fonctionnement de l’administration marocaine.