Dans quelques jours se tiendra à Djeddah en Arabie Saoudite, le 32ème sommet de la Ligue arabe. Fortement attendu, ce sommet portera entre autres sur les principaux facteurs de division qui continuent de miner la cohésion du monde arabe, à savoir le conflit interarmées qui se déroule actuellement au Soudan et la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue arabe, dont elle a été exclue en 2011 suite à la guerre civile qui s’est déclenchée dans le pays dans le contexte mortifère des «printemps arabes».
Étant habitués à des sommets aux vœux pieux, ou à des fiascos comme le précédent sommet organisé à Alger, doit-on espérer, pour cette fois au moins, quelque chose de concret?
Tout porte à croire que oui, d’autant plus que l’Arabie Saoudite, qui accueille l’évènement, est en train d’entamer un virage géopolitique majeur dans la région.
Son ambition? Consolider le monde arabe dans un contexte de fragmentation géopolitique du monde. Cependant, cette nouvelle approche saoudienne contraste fortement avec celle adoptée à partir de 2014-2015, qui fut caractérisée par un bellicisme et une agressivité à travers la guerre au Yémen (2015) et une rupture diplomatique avec le Qatar (2017) et qui, loin de porter ses fruits, a au contraire produit l’effet inverse.
Ainsi, la reprise des relations diplomatiques avec l’Iran et la volonté ferme de réintégrer la Syrie dans le giron arabe laissent présager l’émergence d’un leadership saoudien plus réaliste, et surtout plus conciliant.
Mais qu’en est-il de la périphérie géographique du monde arabe? En l’occurrence du Maghreb? Va-t-elle être intégrée dans cette dynamique de consolidation? C’est là peut-être tout l’enjeu implicite de ce sommet, par-delà ce qui est manifeste, à savoir le Soudan et la Syrie. Car la démarche saoudienne exige une cohérence globale, englobant tout le futur bloc qui se devra d’émerger tôt ou tard.
Dans une chronique publiée le 24 avril dernier, j’avais tenté d’esquisser le futur positionnement saoudien quant au bras de fer opposant le Maroc et l’Algérie, ou pour être plus précis, l’Algérie au Maroc, sachant que la rupture entre nos deux pays a été exclusivement le fait d’Alger. J’avais écrit que :
«Il n’est pas exclu que d’ici quelques mois, l’Arabie saoudite ainsi que d’autres monarchies du Golfe procèdent à un recadrage diplomatique en bonne et due forme de l’Algérie, afin de l’obliger à s’asseoir autour de la table des négociations avec le Maroc, afin de l’amener, tout en lui permettant d’une manière ou d’une autre de sauver la face, à reconnaître l’intégrité territoriale du Maroc et sa pleine souveraineté sur tout son territoire».
Peut-être que ce sommet ne sera pas l’occasion d’un tel dénouement, quoique tout est possible dans le monde complexe et relativement imprévisible des relations internationales. Car la périphérie pourrait suivre plus tard, après la consolidation du centre.
Toujours est-il que le centre ne peut se consolider sans l’adhésion pleine et entière de la périphérie. Car concernant le dossier iranien, le Maroc a des choses à dire, et surtout, des garanties à obtenir de la part de Riyad, quant à la cessation de toute activité hostile de Téhéran à l’égard de notre intégrité territoriale. Et puisque tous les dossiers sont directement ou indirectement reliés et intriqués, cette démarche implique aussi un engagement saoudien plus poussé dans le dossier auprès du principal facteur d’instabilité dans la région du Maghreb : l’Algérie.
Une telle ambition de consolidation géopolitique ne saurait donc se faire sans une implication diplomatique directe de Riyad dans le dossier du Sahara marocain, ou au moins d’une médiation ferme et pragmatique.
Peut-être que ce sommet ne sera pas l’occasion d’une telle dynamique. Mais ce n’est qu’une question de temps.
Mais le Maroc se devra de jouer toutes ses cartes lors de ce sommet, en mettant en avant toutes les intrications qui relient les différents dossiers entre eux, afin d’en tirer le meilleur autant pour lui que pour tout le monde arabe.
Ainsi, les dossiers syrien, iranien, yéménite et algérien ne devront en aucun cas, du point de vue du Maroc, être traités séparément. Ça devrait être notre condition sine qua non pour l’obtention de tout consensus, qu’il s’agisse de l’Iran, de la Syrie ou du Yémen. Ou bien la démarche sera cohérente et va se déployer au service de tout le monde arabe, ou bien elle ne se fera pas.
Car il est hors de question que cette initiative se fasse uniquement au service des intérêts saoudiens dans la région, et au détriment ou dans l’occultation des intérêts d’autres pays. C’est là tout l’esprit de ce sommet et de ceux qui vont venir, que d’apprendre à penser en termes collectifs, là où certains pays tentent toujours de tirer la couverture de leur côté. C’est ce qu’on nomme une «ligue». Quant au fait qu’elle soit «arabe», tâchons donc de lui donner une substance autre que celle que lui prêtent les différents dictons et autres blagues.