Dans un contexte particulier marqué par le retour du Maroc au sein de l’Union africaine (UA), l’évacuation de la zone de Guerguerat et le ton des relations avec António Guterres, le secrétaire général de l’ONU, le royaume chérifien adopte clairement une nouvelle approche.
Rejetant l’idée d’un conflit armé, Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste de la région maghrébine, donne son avis sur le retrait «inhabituel» des troupes marocaines, le 26 février, de la zone tampon de Guerguerat. «Rabat a voulu faire un geste symbolique fort et a trouvé le moment opportun avec sa réintégration au sein de l’Union africaine, en janvier, et l’arrivée du nouveau secrétaire général de l’ONU, António Guterres, auquel il veut montrer sa bonne disposition à faire des efforts».
Pour elle, le Maroc «veut apparaître comme un interlocuteur fiable des relations internationales et isoler le Front Polisario en se mettant dans la légalité».
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La statu quo n’est plus d'actualité pour le Maroc, il lui est même devenu «préjudiciable». Khadija Mohsen-Finan donne ainsi comme exemple la décision de la Cour européenne de justice rendant inapplicables les accords d’association avec l’Union européenne au Sahara.
Interrogée par le journaliste du Monde sur les relations entre Ban Ki-moon et Rabat, Khadija Mohsen-Finan déclare que «Ban Ki-moon a mal géré le dossier du Sahara, il l’a laissé pourrir».
Elle revient, de même, sur la démission de Christopher Ross et précise que ce dernier a jeté l'éponge «car il a échoué à mettre les parties autour d’une table pour négocier».
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Quant à António Guterres, le nouveau secrétaire général des Nations unies, «il a envoyé des signes positifs». La politologue ajoute que, dans l’affaire de Guerguerat, son communiqué «a mis les deux parties sur un pied d’égalité en les enjoignant de quitter le territoire. Auparavant, on se serait contenté de condamner, d’appeler à la négociation et au dialogue».
Le sort du Front Polisario a également été abordé. Khadija Mohsen-Finan indique, à ce sujet, que «le mouvement est très affaibli. Il se contente de continuer d’exister car il est soutenu à bout de bras par l’Algérie. Mais on ne sait pas ce qu’il représente pour les Sahraouis eux-mêmes».
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Comment sortir de ce conflit? A cette question cruciale, la politologue répond en proposant «trois options: soit un État sahraoui indépendant, soit une confédération, soit une autonomie dans le royaume marocain. Je pense que la troisième option est la plus réaliste». «Mais pas comme le Maroc l’a jusqu’ici présentée», nuance-t-elle toutefois pour évoquer une autonomie négociée, de manière à ce que la population puisse être consultée et pour que «l’accord qui en sortira soit réellement mis en œuvre».
Même si cette solution ne paraît pas «forcément la plus avantageuse pour le Maroc», elle aura le mérite de faire du Sahara «une région beaucoup plus riche que les autres, à l’instar de la Catalogne en Espagne».
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L'experte considère, par ailleurs, que les Sahraouis ont tort de rejeter la proposition marocaine. «Les Sahraouis auraient tout à gagner à une autonomie, à condition qu’elle leur donne de réelles prérogatives», précise la politologue.
Revenant sur la réintégration du Maroc au sein de l’UA, elle précise que «le Maroc a mené une politique africaine très offensive. Mais il se rend compte que le fait d’entretenir des rapports économiques très étroits avec un certain nombre de pays ne signifie pas qu’ils se plient à sa volonté». Car, ajoute-t-elle pour clarifier ses propos, «la décision de revenir dans l’UA fait partie du nouveau cap que le Maroc s’est fixé, car c’est un terrain de négociation. L’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancêtre de l’UA, avait été très efficace en 1963 pour le règlement de la "guerre des Sables" entre l’Algérie et le Maroc», rappelle-t-elle.
Et évidemment, l’après-Bouteflika a fait l’objet d’une question durant cette interview. Pour Khadija Mohsen-Finan, «le régime algérien ne changera pas de position. Dans ce système tricéphal présidence-Etat-major-renseignement-, le Sahara a toujours été la chasse gardée de l’armée, comme tout ce qui touche à la question des frontières et à la relation Maroc-Algérie». Et de souligner que «la question générale des frontières avec le Maroc ne se repose pas. Tout le contentieux entre les deux pays est cristallisé par le Sahara».
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Au sujet de la "résolution du conflit", la politologue précise, sans pour autant répondre à la question, que «la volonté d’un acteur clé de sortir de l’immobilisme est toujours quelque chose de positif».
«Si le Maroc veut être cohérent, il doit donner des gages, en premier lieu sur les questions des droits humains», ne manque t-elle pas de souligner. d'annonce dans la foulée que le prochain rapport de Guterres sur la situation au Sahara «pourrait en tout cas introduire des nouveautés, avec des demandes très claires adressées aux deux parties».