En cette période anniversaire de la Marche verte, une réflexion me vient à l’esprit: si le Maroc n’avait pas subi la double colonisation franco-espagnole qui le coupa en deux, séparant sa partie nord de sa partie saharienne, et s’il n’avait subi qu’une seule colonisation, sa décolonisation se serait donc faite en un seul mouvement… et on ne parlerait ainsi ni de «peuple sahraoui» ni d’«État sahraoui», car la question de la marocanité du Sahara occidental ne se serait pas posée.
Au moment des partages coloniaux, le Sahara occidental formait en effet avec le Maroc un même monde politique, religieux et commercial qui partait des villes du nord du Maroc pour atteindre la vallée du fleuve Sénégal et la région de Tombouctou par les marchés de Goulimine, de Sijilmassa et de Tindouf. Dans cet ensemble où la prière était dite au nom du sultan marocain, les marchandises circulaient sans entraves douanières, avec le même système de poids et de mesures, irriguées par la même monnaie.
Le Maroc fut ensuite doublement démembré par la colonisation: à l’est, au profit de l’Algérie alors française, et au sud, au bénéfice de l’Espagne.
En 1956, le Maroc recouvra certes son indépendance, mais pas sa totale souveraineté territoriale. Le 2 mars 1956 et le 7 avril 1956, cette dernière ne fut en effet été rétablie que sur les deux anciennes zones des protectorats français et espagnol, alors que plusieurs provinces ou parties du pays étaient encore à récupérer, dont, naturellement, le Sahara occidental.
Puis, au mois de juillet 1962, il fut demandé au Maroc d’entériner la perte de ses provinces de l’Est et d’accepter de les voir offertes à l’Algérie, État créé par le colonisateur français qui avait donné ses frontières à ce dernier en amputant territorialement le Maroc. Une Algérie qui s’affirma alors paradoxalement héritière de la France en campant sur le principe de la non-remise en question des frontières héritées de la colonisation. Alors que, le 6 juillet 1961, le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) avait signé avec Rabat un accord stipulant que les problèmes frontaliers existant entre les deux pays seraient résolus par la négociation dès que l’Algérie aurait acquis son indépendance.
Cette amputation du territoire marocain était à ce point évidente pour les connaisseurs de la question qu’en 1917, alors Commissaire résident général par intérim en l’absence du maréchal Lyautey, nommé ministre de la Guerre à Paris, le général Gouraud avait demandé le retour de Colomb-Béchar au Maroc.
Quant au maréchal Lyautey, il écrivait, le 4 février 1924, dans un document essentiel envoyé à Paris et que j’ai déjà cité dans plusieurs de mes chroniques, que «les Oasis sahariennes du Touat, du Gourara et du Tidikelt relevaient depuis plusieurs siècles du Sultan du Maroc (…)».
En 1975 puis en 1979, grâce à l’action du roi Hassan II, le Maroc reprit possession de la partie de ses provinces sahariennes incluses dans l’ancienne colonie espagnole du Sahara occidental. Le souverain put alors déclarer: «En récupérant leur Sahara, les Marocains ne font que renouer avec les hauts lieux qui furent, par le passé, le creuset de leurs dynasties, le point de départ de leur rayonnement au-delà de leurs frontières et les racines nourricières de l’arbre qui constitue leur communauté».