Jeudi dernier, France 2 consacre enfin, dans son journal de 13 heures, un reportage aux enfants palestiniens tués à Gaza par les bombardements de l’armée israélienne. Ils sont déjà plus de quatre mille petits cadavres, il devient difficile de les ignorer. On ne peut pas toujours faire semblant de ne pas être au courant.
Donc, un reportage. Les images sont émouvantes, certaines insoutenables (le père éploré qui tient entre ses bras son enfant mort et refuse de le lâcher…), certaines atroces (des bambins inanimés gisant sous les décombres). On en a le cœur serré, on en a les larmes aux yeux.
Et on se dit: «Tiens! La voix de son maître (France 2 est une chaîne de service public contrôlée par l’Élysée), la voix de son maître a découvert que les Palestiniens étaient aussi des êtres humains et qu’un enfant assassiné, qu’il soit Israélien ou Palestinien, qu’il soit juif, chrétien, musulman ou hindou, c’est une abomination».
Et puis, on prête attention au commentaire qui accompagne ces images et on déchante. Gravement.
En effet, les phrases, qu’elles soient à l’actif ou au passif, ne disent absolument rien de ce qui se passe vraiment, sur le terrain, dans les décombres de la ville martyre. En voici un échantillon: «Les enfants morts dans les bombardements…» «… victimes de l’effondrement de l’immeuble…» «… tués dans une attaque…». Et ainsi de suite.
Pas une seule fois dans le reportage, on n’entend les mots «avions», «tanks», «armée israélienne». On a l’impression qu’un mal mystérieux a frappé tous ces mômes (bactérie, virus?) et qu’on ne sait pas encore de quoi il s’agit. Mais on sait une chose: cette bactérie ou ce virus a aussi le pouvoir extraordinaire de faire s’écrouler des bâtiments et de creuser des trous profonds dans les chaussées des rues.
Ou peut-être s’agit-il d’une attaque d’extraterrestres? Comme on ne sait pas encore s’ils viennent de la galaxie d’Andromède ou de celle du Sagittaire, il est somme toute normal de ne pas désigner ces assassins venus d’on ne sait où.
D’où l’usage constant du passif dans ce reportage. «Cet enfant palestinien est mort dans un bombardement» (Bombardé par qui? Le gang des postiches? Les sorcières de Macbeth?). «Ce bébé n’a pas survécu à l’attaque» (On dirait presque que c’est de sa faute). «Une petite fille de Gaza devenue orpheline» (Ses parents se sont-ils suicidés?).
Les auteurs de ce reportage ont donc accompli une espèce d’exploit (ou commis une sorte de forfaiture) en montrant et en commentant les images d’une scène de crime sans jamais évoquer le nom du criminel, qu’ils connaissent pourtant parfaitement.
Le plus comique, c’est que ces gens-là ne cessent de nous donner des leçons de journalisme. Ils braillent sans discontinuer que la liberté de la presse est chez eux et nulle part ailleurs.
La guerre entre Hamas et l’armée israélienne prouve -si besoin était- que ces censeurs hautains, qui s’étaient déjà déshonorés en profitant du séisme d’Al Haouz pour nous insulter, ne disposent d’aucune légitimité pour nous critiquer.
Quand les journalistes de France 2 auront retrouvé l’usage des phrases à l’actif et qu’ils auront le courage de désigner nommément le sujet de ces phrases, alors seulement ils auront le droit de nous adresser remontrances et critiques.