Pour plaire aux Européens, le président algérien fait polémique en s’attaquant à la Tunisie

Le président tunisien Kaïs Saïed et le président algérien Abdelmadjid Tebboune, lors de la visite de ce dernier à Tunis, le 15 décembre 2021.

Le président tunisien Kaïs Saïed et le président algérien Abdelmadjid Tebboune, lors de la visite de ce dernier à Tunis, le 15 décembre 2021. . FETHI BELAID / AFP

Le président algérien a, depuis la capitale italienne, Rome, coupé la branche sur laquelle il était assis. En affirmant que l’Italie et l’Algérie vont faire front pour aider à rétablir la démocratie en Tunisie, Tebboune a déclenché une polémique chez son voisin maghrébin, au risque de rendre total l’isolement régional de l’Algérie.

Le 28/05/2022 à 11h19

Jeudi 26 mai, lors d’une conférence de presse conjointe avec le président italien, Sergio Mattarella, le chef de l’Etat algérien, Abdelmadjid Tebboune, n’a pas dérogé à ses maladresses, bavardages creux, irrépressible logorrhée et autres approximations, pour s’attaquer cette fois-ci à son voisin de l’Est, la Tunisie.

«Nous sommes prêts à aider la Tunisie pour sortir de la situation difficile dans laquelle elle a sombré et à retourner à la voie démocratique», a dit Tebboune devant la presse à Rome. Il est clair que le président algérien ne fait pas ici allusion à la situation économique difficile de son «petit» voisin. Il pointe bel et bien ce qu’il appelle «l’impasse» politique dans laquelle le pays de Habib Bourguiba est actuellement embourbé à cause du bras de fer entre le président Kais Saïed et ses opposants, matérialisé par la paralysie des institutions du pays.

Si pour certains opposants tunisiens, la déclaration de Tebboune pourrait être interprétée comme un signe annonciateur de la mise à l’écart, sans préciser comment, de Kais Saïed, elle est au contraire jugée par un grand nombre de Tunisiens comme une ingérence flagrante du président algérien dans les affaires intérieures de leur pays. Qualifiée d’«inopportune» et d’«injustifiée», elle est également considérée par d’autres comme «portant atteinte à la souveraineté» de la Tunisie.

Il suffit de voir le flot de réactions ayant accompagné un tweet posté, depuis Londres, par le blogueur tunisien Alaeddine Zaatour, pour mesurer combien Tebboune continue à être la risée des internautes. Car indépendamment du fait de renoncer à la prétendue sacro-sainte politique de non-ingérence du régime algérien dans les affaires des autres nations, s’il y a un pays qui est très mal indiqué pour donner des leçons de démocratie à la Tunisie, c’est bien l’Algérie.A ce sujet, les internautes tunisiens ont rappelé au souvenir de Tebboune des slogans du Hirak le qualifiant d’illégitime, ainsi que son parachutage à la présidence par les généraux algériens, au moment où les urnes ont été massivement boycottées par les électeurs algériens.

Il est vrai que Tebboune est le dernier à pouvoir donner une leçon de démocratie à la Tunisie, quand bien même ses hôtes italiens auraient soulevé des craintes quant aux «risques» migratoires ou ceux liés au gazoduc algéro-italien transitant par la Tunisie, à cause de la crise politique qui sévit dans ce pays.

Pour rappel, l’Union européenne n’a cessé, ces derniers mois, de demander, comme l'a fait jeudi 26 mai l’ambassadeur de l’UE en Tunisie, Marcus Cornaro, un retour à la normale dans ce pays. «Les pays membres (de l’UE) souhaitent un prompt retour à la démocratie et au travail parlementaire» dont est tributaire le soutien économique de l’Europe à Tunis, a déclaré Cornaro à la presse tunisienne.

Tebboune a donc jeté sa langue au chien, en faisant siennes les exigences européennes vis-à-vis du pouvoir tunisien. Il est même allé plus loin en affirmant sans sourciller qu’il existe «une convergence totale de vues» entre l’Italie et l’Algérie sur la crise tunisienne.

Pourtant, lors de la visite du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, à Alger le 30 mars dernier, Tebboune avait tenu un tout autre langage. Il a déclaré, dans un long délirium qu’il ne savait pas enregistré par un micro indiscret, que «l'Algérie est entourée de pays qui ne lui ressemblent pas, à l'exception de la Tunisie».

Comment alors expliquer cette «volte-face», s’interroge le site du journal tunisien Réalités, qui trouve que le président algérien «semble avoir changé de position envers la Tunisie et plus précisément vis-à-vis du président Kaïs Saïed, de plus en plus isolé politiquement tant à l’échelle nationale qu’internationale».

Cette polémique n’est en réalité qu’un des nombreux vecteurs qui cristallisent l’ampleur de l’échec de la visite du président algérien à Rome. En déclarant, pour déplaire à Madrid, que «l’Italie sera le distributeur exclusif du gaz algérien en Europe», Tebboune n’a finalement pas réussi à soutirer des responsables italiens le moindre mot sur l’Espagne, et encore moins sur le Sahara occidental. Le Royaume du Maroc et son Sahara ont été bannis de toutes les déclarations officielles. Visiblement, les dirigeants italiens ont informé leur hôte de ne faire aucune mention à ce sujet. Ce qui a dû être une bien grande frustration pour Tebboune qui a tenu, en revanche, des propos irresponsables et indignes d’un homme d’Etat sur la Tunisie.

En attendant une réaction officielle du pouvoir tunisien aux propos de Tebboune, réaction très improbable au regard de la dépendance de Tunis vis-à-vis du carburant et du gaz algériens ainsi que du tropisme algérien trop criant du chef de la diplomatie tunisienne, Othman Jerandi, une réponse du berger à la bergère est déjà tombée. Vendredi 27 mai, l’agence de presse tunisienne (TAP) a annoncé que le Prix Nejiba Hamrouni pour la déontologie journalistique 2022 a été décerné au journaliste algérien Rabah Kareche. Or ce dernier n’est autre que la bête noire du régime algérien qui l’a emprisonné pendant plusieurs mois pour le punir de son militantisme au sein du Hirak.

Par Mohammed Ould Boah
Le 28/05/2022 à 11h19