Les concepteurs du projet PAM ont fait preuve, contrairement à une idée courante affirmant le contraire, de «réalisme» quand ils ont réuni dans un même parti, et autour d’un même projet, deux groupes venus de deux mondes différents: des militants issus d’une gauche radicale fatiguée et désabusée, et des notables élus intéressés par davantage de proximité du pouvoir. Ce qui semblait être, pour les observateurs pressés, un mariage de «la carpe et du lapin», une impossible union, trouvait son fondement et son intérêt autour de deux convictions partagées par les deux groupes: la première est l’appartenance à l’élite de la société, l’une intellectuelle et l’autre sociale, puisqu’élue, la seconde considère que le changement de la société ne peut s’opérer que par le haut, avec l’aide de l’État. Pour rappel, les deux groupes n’avaient pas réussi, avant leur fusion, à créer des partis politiques et/ou des syndicats professionnels de poids, ce qui en dit long sur leurs rapports à la société.
À cet ensemble, il a été confié une double mission: contrer la montée en puissance du conservatisme islamique et participer au mouvement de modernisation de la société. La première erreur politique, voire idéologique, commise par le PAM a été de vouloir se construire contre le courant islamique: on ne construit pas un mouvement dans la durée «contre» quelque chose -dans le cas d’espèce le mouvement islamiste, mais bien évidemment «pour» un projet. Sinon, on perd sa raison d’être quand l’adversaire disparaît ou devient insignifiant. On peut rétorquer à cet argument que le mouvement a été conçu aussi pour accompagner la modernisation de la société. Dans ce cas, il serait aisé d’avancer qu’il y a eu erreur de casting sur les élites capables de mener à bien un projet de cette envergure, car les élites choisies ont un rapport distant avec la société.
À ce sujet, quelques rappels s’avèrent utiles. Accompagner la transformation d’une société à économie traditionnelle, agraire et rurale en une économie moderne, industrielle et urbaine dans ses volets culturels, politiques, économiques et technologiques ne peut se faire par un coup de baguette magique de l’État, quelles que soient les bonnes intentions de ce dernier. Cet accompagnement exige, et c’est un truisme, concomitamment aux nouvelles missions de l’État, la participation de la société, encadrée idéologiquement et sur le terrain par les partis politiques et les organisations de la société civile.
On a cru que les «intellectuels» politisés de l’ensemble constitué PAM allaient fournir l’ossature idéologique, et que les notables allaient jouer le rôle de relais dans la société. Double méprise. Les intellectuels, plus familiers avec des mots d’ordre prêts à l’emploi, ont été incapables d’élaborer un programme construit, innovant et crédible pour le parti. Les notables, plus habitués à des rapports de «clientélisme» avec la société qu’à l’échange d’idées, étaient à la mauvaise place. D’ailleurs, ils ne croient pas dans la société et ses forces, et n’y ont jamais cru. Une des premières décisions de Abdellatif Ouahbi, quand il avait pris les rênes du parti, a été de couper les ponts avec l’Organisation démocratique du travail (ODT), syndicat prometteur et proche du PAM, arguant du fait que son parti devait se tenir… loin des syndicats. Sous d’autres cieux, on aurait appelé cela de l’amateurisme. On ne se débarrasse pas d’un soutien, au mieux, et d’un relais, au pire, dans la société.
Il y a quelques mois, votre serviteur avait formulé l’espoir que le PAM puisse se ressaisir en élaborant un programme solide et en utilisant à bon escient ses élus. Cet appel était motivé par la conviction, toujours présente, que le paysage politique marocain a besoin d’un centre social et moderniste capable d’une immersion dans la société pour l’aider à s’approprier les réformes lancées par le Souverain d’une part, et d’autre part pour la faire évoluer positivement sur plusieurs thèmes: égalité des sexes, Code de la famille, droit des minorités, élargissement de l’espace des libertés, politique culturelle, lutte contre le chômage, diversification de l’économie et amélioration de sa compétitivité, lutte contre les inégalités sociales et territoriales, élargissement de l’assiette fiscale, politique de la ville et, last but not least, véritable industrialisation du pays.
D’autant qu’en face se positionne de plus en plus clairement un conservatisme teinté de «modernité», mené par le toujours solide Parti de l’Istiqlal et un RNI gagné par le court-termisme et l’âpreté aux gains… électoraux. La gauche, quant à elle, au vu de sa situation, aura besoin d’un long moment pour sortir de sa torpeur.
Malheureusement, depuis quelques mois, les choses se sont compliquées pour le PAM. À côté des erreurs originelles de création, ont vu jour des travers prévisibles, au vu de la manière dont s’opérait la sélection de ses candidats aux élections. Cette situation compromet lourdement son avenir et, à moins d’un sursaut miraculeux, ses chances de jouer les premiers rôles dans les prochaines échéances.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain, en renonçant à une force centriste et moderniste, nécessaire à l’accompagnement de la modernisation du pays à moyen et long terme? Je l’ai dit plus haut, et même dans des chroniques précédentes, la réponse est non. La réflexion doit être entamée sur la forme que pourrait prendre une force centriste et moderniste qui, en ciblant comme base sociale les classes moyennes, intégrerait le cas échéant le PAM et certains éléments de la gauche modérée, tout en opérant une large ouverture pour faire place à de nouvelles élites politiques et aux éléments dynamiques de la société civile porteurs de modernité.