Longue, la réponse est forcément tardive, brouillonne. Elle est surtout révélatrice du désarroi d’un régime pris à contre-pied. L’attitude ferme et inédite d’Emmanuel Macron appelant à assumer un rapport de force avec le régime algérien a provoqué une onde de choc à Alger. C’était hier mercredi 6 août. Dans une lettre adressée au Premier ministre et publiée par le quotidien Le Figaro, le président français a appelé à «des décisions supplémentaires» et à «agir avec plus de fermeté et de détermination» envers le pouvoir algérien. Parmi ces mesures, la suspension officielle de l’accord de 2013 relatif à l’exemption de visa pour les passeports officiels et diplomatiques et l’activation «immédiatement» du levier visa-réadmission (LVR) qui permet de refuser les visas de court séjour aux détenteurs de passeports de service et diplomatiques. Mieux, la mesure vaut également pour les visas de long séjour «à tous types de demandeurs». Macron n’y va pas de main morte s’agissant des Algériens indésirables en France, véritable moyen de pression dont Alger use et abuse contre Paris. «J’attends du ministre de l’Intérieur qu’il trouve les moyens d’expulser de notre territoire les individus algériens en situation irrégulière», écrit le président de la République française.
De plus, Emmanuel Macron européanise la crise avec l’Algérie en appelant Bruno Retailleau à sensibiliser ses collègues européens à ne pas permettre aux Algériens ciblés par les nouvelles mesures de les contourner par les pays de l’espace Schengen.
Ceux qui s’attendaient à une réaction logique de la part de l’Algérie seront de nouveau déçus. La réponse du régime algérien, relayée non pas par la présidence mais par le ministère des Affaires étrangères, sonne comme une longue plainte, dépourvue de substance et traversée de contradictions. Disséquons.
Lire aussi : France-Algérie: le détail des mesures décrétées par Macron contre le régime d’Alger
Le premier constat est lourd de sens. Ce n’est pas la présidence algérienne qui a répondu à la lettre du président français, mais un simple communiqué du ministère des Affaires étrangères. Ce choix en dit long sur la désorganisation institutionnelle ou, pire, sur la gêne profonde du sommet de l’État algérien face à une initiative qu’il n’avait pas anticipée. Quand un chef d’État vous interpelle directement, il est logique, et diplomatiquement attendu, que la réponse vienne du même niveau. Ce silence de la présidence est un aveu de faiblesse.
Un ton désespérément défensif et verbeux
On le disait, le communiqué du MAE algérien est long (près de 1.300 mots) mais creux. C’est à peine s’il s’emploie à démontrer, point par point, que la France est responsable de tous les torts dans la dégradation des relations bilatérales. Ce discours plaintif, répétant que l’Algérie n’a fait qu’appliquer le «principe de réciprocité», révèle une incapacité structurelle à proposer une vision diplomatique ou politique.
Dans un langage presque scolaire, Alger aligne les dates et les accords: 1968, 1974, 1994, 2013… comme pour dissimuler son désarroi derrière une façade juridique. Ce recours à l’argument d’autorité des textes cache mal l’absence de réponse politique. L’essentiel est éludé: pourquoi l’Algérie a-t-elle volontairement saboté les mécanismes consulaires, bloqué les réadmissions, ou toléré les réseaux anti-français actifs sur son sol? Pour cela, il faudra repasser.
Le régime algérien s’érige en victime d’une France brutale et arrogante. L’image d’une Algérie assiégée, qui résiste aux «pressions, menaces et chantages», fait sourire quand on se rappelle qu’elle a récemment expulsé des diplomates français, emprisonné un écrivain (Boualem Sansal) et un journaliste (Christophe Gleizes), refusé d’accueillir ses propres ressortissants rejetés par la France, ou convoqué à répétition ambassadeur et chargé d’affaires français. Cette victimisation rituelle ne tient plus. Tout comme les pseudo «contre-mesures» plus ou moins annoncées dans le communiqué: dénonciation de l’accord d’exemption de visas au profit des titulaires de passeports diplomatiques et de service, maintien du refus des expulsions au nom de «la protection consulaire de l’Algérie à l’égard de ses ressortissants en France» et des accréditations de diplomates français.
Le coup de poker perdu de l’extrême droite
On l’aura compris, c’est bien peu et ces mesures sont caduques. Le nombre de Français détenteurs de passeports diplomatiques ou de service est insignifiant par rapport aux dizaines de milliers d’Algériens de la nomenklatura algérienne pour qui ce sésame est un signe d’ascension sociale. Le seul changement réel dans le discours algérien est qu’il parle désormais de «la France» et non pas de «l’extrême droite». Tout au long de la crise avec Paris, Alger a en effet fondé sa stratégie de communication sur la dénonciation de l’extrême droite française, espérant capitaliser sur la peur d’un basculement à droite pour se poser en rempart ou victime. Or, la lettre de Macron, centriste assumé, enterre cette rhétorique: le durcissement ne vient pas des Républicains du gouvernement Bayrou, et encore moins du Rassemblement national, mais de l’Élysée lui-même.
C’est là un revers stratégique majeur pour le régime algérien, qui découvre, trop tard, que même les voix modérées à Paris, incarnées par Emmanuel Macron, ne veulent plus céder à ses caprices diplomatiques. Au lieu d’un effort d’explication ou d’apaisement, Alger se contente de réagir aux mesures françaises de manière binaire et défensive. La dénonciation de l’accord sur les visas diplomatiques en est l’illustration parfaite. Loin d’être une initiative souveraine, cette dénonciation est un simple mimétisme sans vision d’avenir ni alternative crédible.
À aucun moment, le communiqué algérien ne propose une sortie de crise ou une volonté de rétablir un dialogue structuré. Tout est dans la posture, rien dans l’initiative. Avec ce dérangeant air de déjà vu, déjà entendu. «L’Algérie tient à rappeler, une fois de plus, qu’elle n’a été historiquement à l’origine d’aucune demande de conclusion d’un accord bilatéral d’exemption de visas au profit des titulaires de passeports diplomatiques et de service. À maintes reprises, c’est la France, et elle seule, qui a été à l’origine d’une telle demande», lit-on pour la énième fois. Pire: Alger semble prendre acte de la rupture sans même chercher à en mesurer les conséquences économiques, migratoires et sociales. Le refus de visas de long séjour «à tous types de demandeurs» que stipule le LVR suppose la fin des visas étudiants, de travail et de regroupement familial -si chers aux Algériens. Mais cela, le régime ne le sait toujours pas. C’est tout juste s’il dénonce (encore) une violation des accords de 1968. Le régime algérien semble s’enfermer volontairement dans une logique d’isolement, confirmant l’impasse actuelle de sa diplomatie.
Une diplomatie désarticulée, un régime en désordre
Ce texte illustre d’ailleurs un problème fondamental de gouvernance. Alors que la France agit de manière concertée et verticale (lettre du président, relais par le Quai d’Orsay et la Place Beauvau, application via les services consulaires notamment), l’Algérie répond de façon décousue, sans pilotage central. Le ministère des Affaires étrangères joue un rôle de porte-voix sans stratégie globale. Et, plus que jamais, le régime algérien apparaît désarticulé, hésitant, et surtout incapable de construire un rapport de force clair.
En appelant à assumer un rapport de force avec un régime décidément voyou, Emmanuel Macron a posé un acte politique inédit, ouvrant un nouveau chapitre dans les relations franco-algériennes. La réponse algérienne, morne, diseuse, sans projet, confirme que le régime d’Alger ne s’attendait pas à une telle fermeté. Et qu’il ne sait pas comment y répondre autrement que par des automatismes bureaucratiques. À ce stade, le silence de la présidence, l’indigence stratégique, les grands airs et la victimisation chronique ne suffisent plus. Le régime algérien est dans l’impasse. Et pour une fois, ce n’est pas la France qui en tient la clé.








