Entre le Maroc et Israël, des lendemains qui chantent se profilent déjà à l’horizon, mais à ce jour, en dehors de certains volets spécifiques et de quelques timides annonces, les grands projets de coopération qu’on est légitimement en droit d’espérer ne sont toujours pas enclenchés. C’est ce qui ressort du Rapport annuel AAPI 2022 du think tank américain The Abraham Accords Peace Institute (AAPI), qui évalue les relations entre Israël et les sept pays avec lesquels il a récemment normalisé ses liens (Egypte, Jordanie, Soudan, Emirats arabes unis, Bahreïn, Kosovo et Maroc), et dans lequel une large place est accordée au Royaume. Le ton est résolument optimiste et la bienveillance est de mise s’agissant des relations Maroc-Israël, mais à bien lire le rapport, il apparaît nettement que l’essentiel n’y est pas encore.
Le contraste est d’autant plus marqué que la reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël a une signification particulière pour les deux pays. «Contrairement à d’autres pays avec lesquels Israël a normalisé ses relations, les liens du Maroc avec la Terre d’Israël sont enracinés dans des siècles d’histoire», lit-on dans le rapport, qui souligne que la composante juive fait partie, de par la Constitution, de la communauté nationale marocaine.
Diplomatie: une nécessaire reconnaissance par Israël de la marocanité du Sahara
Sur le plan diplomatique, le rapport reconnaît qu’il y a eu des développements majeurs et que la coopération sécuritaire et militaire entre les deux pays est une réalité. Mais il reste un potentiel important d’accélération et d’expansion de ces liens. A commencer par la reconnaissance par Israël du plan d’autonomie du Maroc comme la seule voie pratique vers la résolution de la question du Sahara ou, de manière optimale, la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur les provinces du Sud qui, selon l’AAPI, «démontrerait l’engagement nécessaire pour accroître à la fois la portée et l’échelle des relations bilatérales».
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L’année 2022 a certes vu de nombreuses visites historiques de responsables du gouvernement israélien au Maroc: le ministre de l’Intérieur, le chef d’état-major de Tsahal, le ministre de la Justice, le ministre de la Coopération régionale et le commissaire de police. Le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, s’est à son tour rendu en Israël pour la réunion ministérielle du Néguev, devenant ainsi le premier ministre marocain à se rendre officiellement dans l’Etat hébreu. «Cependant, il n’y a pas eu beaucoup de visites supplémentaires de haut niveau de Marocains en Israël en raison de la position d’Israël sur le Sahara occidental», note-t-on.
Pour les auteurs du rapport, la reconnaissance par Israël de la souveraineté du Maroc sur son Sahara serait une étape importante pour les relations et pourrait ouvrir la voie à des relations diplomatiques approfondies et à des visites réciproques de haut niveau. Elle «conduirait également le Maroc à jouer un rôle plus actif pour convaincre d’autres pays africains de rejoindre les accords». Un levier de taille serait qu’Israël et le Maroc transforment leurs bureaux de liaison en ambassades à part entière pour réaliser le plein potentiel de leurs liens historiques.
Sécurité et défense: 2022, l’année de toute les premières
S’il est un domaine qui a vu la relation s’approfondir, c’est bien le volet sécurité et défense. En février, Israel Aerospace Industries et le Maroc ont conclu un accord de défense antimissile de 500 millions de dollars. En juillet dernier, trois militaires israéliens ont «publiquement» participé à un exercice au Maroc. Une première. Le même mois, une unité antiterroriste marocaine a également pris part à un exercice multinational en Israël. En août, le commissaire de police israélien Kobi Shabtai s’est rendu au Maroc et a rencontré de hauts responsables de la police et de la sécurité, dont le chef des services de renseignement marocains, Abdellatif Hammouchi. Au cours de la visite, plusieurs accords ont été conclus, établissant une coopération dans des domaines tels que la lutte contre le crime et le terrorisme, le partage d’informations et l’extradition de criminels israéliens. En septembre, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, a accueilli l’inspecteur général des Forces armées royales. C’est la première fois que le chef de l’armée d’un pays arabe effectuait une visite officielle en Israël.
Economie: l’impératif de sortir des effets d’annonce
«Le commerce entre Israël et le Maroc a considérablement augmenté en 2022, bien que le potentiel non réalisé dans de multiples secteurs tels que l’énergie, l’agriculture et la fabrication reste important», résume le document. Là encore, le préalable est bien simple: «Nous prévoyons une croissance significative du commerce en 2023 à mesure que les relations diplomatiques et de sécurité s’approfondissent et que des contacts supplémentaires établissent les relations requises sur une base de confiance».
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En chiffres, les échanges entre Israël et le Maroc ont atteint 55,7 millions de dollars en 2022, soit une augmentation de 32% par rapport à 2021. Israël prévoit également d’ouvrir une mission commerciale au Maroc en 2023, et une zone de libre-échange «Accords d’Abraham» est sur la table.
Bien des accords bilatéraux ont été signés, couvrant des domaines comme l’intelligence artificielle (IA), le dessalement d’eau de mer, les technologies du désert, les technologies de transformation des aliments, la biotechnologie, les énergies renouvelables, les technologies médicales et l’industrie pharmaceutique, les villes intelligentes, l’industrie automobile, les technologies de l’information, l’espace, les sciences humaines et les sciences sociales.
Des progrès considérables ont été réalisés, mais d’autres encore plus importants sont possibles si des blocages sont levés. «Les hommes d’affaires avides des deux côtés ont rencontré des difficultés pour identifier les investissements optimaux et les partenaires commerciaux et naviguer dans les systèmes juridiques et financiers complexes de leurs homologues.»
Des institutions à vocation commerciale telles que le Conseil d’affaires maroco-israélien et la Chambre maroco-israélienne de l’industrie ont été créées pour faciliter les introductions, et le premier Forum des affaires maroco-israélien a eu lieu à Tel Aviv en mars. Mais c’est loin d’être suffisant. «Il est nécessaire que les connexions entre les investisseurs institutionnels israéliens et marocains et les fonds souverains soient renforcées. La société marocaine Ithmar Capital a été active dans ce domaine», fait observer le document.
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Visas, tarifs… ces freins qui empêchent les Marocains de se rendre en Israël
Alors que le tourisme entre le Maroc et Israël a augmenté depuis la signature des Accords d’Abraham, les flux ne sont pas encore au niveau souhaité. Selon le Bureau central des statistiques d’Israël, environ 2.900 Marocains ont visité Israël en 2022, tandis que les estimations indiquent que 200.000 Israéliens ont visité le Maroc la même année. Bien que cela représente une augmentation substantielle par rapport aux années précédentes, l’approfondissement des flux touristiques est toujours au stade de potentiel.
De nombreux vols directs réguliers entre Israël et le Maroc ont été lancés. Royal Air Maroc a lancé son premier vol direct entre les deux pays, devenant ainsi la première compagnie aérienne à proposer des vols directs entre Israël et Casablanca. De plus, la compagnie aérienne nationale et El Al Airlines d’Israël ont annoncé un accord de partage de code. Aussi, Israir opère deux vols hebdomadaires de Tel Aviv à Marrakech et les citoyens israéliens sont éligibles aux visas électroniques pour entrer au Maroc.
Mais alors que les voyages vers le Maroc depuis Israël se développent, ceux suivant l’autre sens en sont encore à leurs balbutiements. Et pour cause: la destination Israël reste chère. «Développer des forfaits touristiques sur mesure pour les Marocains visitant Israël, optimisés en fonction des préférences, les intérêts et les budgets marocains, est une option à envisager pour Israël», lit-on. Autre défi persistant pour les Marocains: les visas pour entrer en Israël. Les longs délais de réponse aux demandes de visa en découragent plus d’un.