Les raisons cachées de l’hostilité sud-africaine envers le Maroc

Nelson Mandela, Jacob Zumo et Cyril Ramaphosa.

De haut en bas: Nelson Mandela, Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa.

L’Afrique du Sud est, avec l’Algérie, l’un des deux principaux rivaux du Maroc sur la scène africaine et l’un des adversaires jurés de son intégrité territoriale. Le fond historique et les intérêts des deux pays se croisent, mais la capacité de nuisance de Pretoria est, de loin, la plus redoutable et, à la date d’aujourd’hui, la plus efficace. À l’idéologie surannée de l’éternel parti au pouvoir, l’ANC, s’ajoute une lutte d’influence sans merci et dans laquelle la première puissance économique du continent s’autorise tous les coups. Analyse.

Le 25/11/2023 à 08h05

Il y a l’Algérie de la junte, dont la haine maladive à l’égard de tout ce qui est marocain est assumée. Pour lui donner corps, les exemples sont légion. À commencer par la création, le financement, l’hébergement, l’armement et le soutien à l’international d’une milice armée, nommons le Polisario, qui s’agite sur le dossier du Sahara. Vivant au passage sur le dos du contribuable algérien et par le détournement éhonté des aides internationales destinées aux populations séquestrées, auxquelles on refuse jusqu’au recensement. Mais s’il est un adversaire qui s’active plutôt en coulisses, avec une capacité de nuisance bien plus grande, s’agissant des causes sacrées, le Sahara en premier, et des intérêts du Maroc, c’est bien l’Afrique du Sud. Lobbying à tout va, réception en grande pompe des dirigeants du front séparatiste, évocation systématique de l’épouvantail des «droits des peuples», de la «lutte contre la colonisation» et des provinces du Sud comme «dernier territoire occupé d’Afrique» dans toutes les enceintes, continentales comme internationales… L’hostilité sud-africaine à la marocanité du Sahara est farouche, déterminée et, parfois, efficace.

L’Afrique du Sud et l’Algérie ont cela en partage que les deux pays se revendiquent d’un bloc d’idées tiers-mondistes d’un autre âge, celui de la Guerre froide, héritage d’un fond idéologique dont ne subsistent que quelques slogans utilisés en baume pour apaiser des colères internes et se donner bonne presse à l’international. Le tout est doublé d’une dette non avouée envers le Maroc et qui fait le lit d’une rivalité qui, elle, est des plus franches. «Tant l’Algérie, pour son indépendance, que l’Afrique du Sud, pour sa libération de la ségrégation raciale qui prévalait, doivent une fière chandelle au Maroc. À la gratitude d’hier s’est substituée une forme de refus de subordination, que rien ne justifie, et une opposition dictée par le fait que le Maroc est catalogué comme pro-occidental, alors que les parties au pouvoir à Alger comme à Pretoria sont, théoriquement, à compter dans le camp anti-Occident», explique cette source bien au fait des rouages de l’Union africaine (UA). Et de nuancer que si l’on s’en tient uniquement au critère de la lutte pour la libération, dont l’Afrique du Sud fait son ciment dans ses relations avec le voisin de l’est, Pretoria devrait faire du Maroc son principal allié sur le continent.

Et pour cause, le soutien du Maroc au peuple sud-africain lors de sa lutte contre les atrocités de l’apartheid n’est plus à démontrer. «En plus d’être le plus ancien, le soutien marocain a été le plus important», affirme notre source. Symbole de cette lutte, Nelson Mandela avait séjourné dans la ville d’Oujda, au Maroc, devenue le véritable quartier général de la résistance en Afrique de 1960 à 1962. C’est curieusement là où il va rencontrer les dirigeants du Front de libération nationale (FLN) algérien.

Financement, armes, entraînements… «Mandela ne revenait jamais du Maroc les mains vides», souligne notre interlocuteur.

Pour preuve, c’est à un leader marocain, et non algérien, que Mandela va rendre hommage pour sa contribution à cette guerre de libération: Abdelkrim El Khatib, ministre d’État aux Affaires africaines à l’époque et porte d’accès de l’ANC (Congrès national africain, parti actuellement au pouvoir, et dont Mandela était alors le chef de file). C’était en 1995, dans la ville du Cap en Afrique du Sud, et en présence de feu Dr El Khatib.

Le régime a muté et, depuis, une nouvelle génération de dirigeants de l’ANC a pris les commandes. Et une toute autre direction. «Le pouvoir de l’ANC s’est construit autour de deux principales idéologies: le discours anti-impérialiste et la soi-disant libération des peuples. Jusqu’à aujourd’hui, ce logiciel est toujours appliqué, cette formation étant particulièrement fermée à tout changement et hermétique du point de vue doctrinal. C’est comme si la Guerre froide était toujours en cours. On le voit à travers la farouche opposition à des pays comme le Maroc ou encore Israël, mis sur un même pied d’égalité», rappelle cet ancien diplomate. «Avec un régime militaire aux commandes en Algérie, la nouvelle génération de dirigeants sud-africains a trouvé un terrain d’entente sur la base de ces mêmes slogans et, surtout, une occasion pour diviser pour mieux régner sur le continent et affaiblir le rôle clé du Maroc sur la scène africaine. Plus le Maroc avance et ses progrès deviennent notables, plus leur acharnement gagne en intensité», explique l’expert en affaires africaines.

Les vrais enjeux sont ailleurs

Les vœux pieux cachent ainsi mal une réalité: les visées hégémoniques de Pretoria sur le continent africain, et dans lesquelles le Maroc est perçu comme un des principaux adversaires. «L’Afrique du Sud, qui prétend au leadership de l’ensemble du continent, a tout intérêt à voir une Afrique du Nord divisée et à couteaux tirés. Trois pays de l’Afrique du Nord sont parmi les six plus gros contributeurs dans l’Union africaine: le Maroc, l’Algérie et l’Égypte. Les trois autres grands contributeurs de l’UA sont le Nigeria, l’Afrique du Sud et l’Angola. La moitié donc des contributeurs de l’UA se trouve ainsi en Afrique du Nord et leur intégration régionale en bonne et due forme ferait voler en éclats le prétendu leadership sud-africain. L’hostilité de l’Afrique du Sud au Maroc a pour seul objectif une Afrique du Nord divisée et, partant, paralysée. Ce qui conforte le leadership de l’Afrique du Sud», analyse notre interlocuteur.

Pour cela, quoi de mieux que de jouer la carte du séparatisme. Si la pseudo-RASD réussit à s’infiltrer, à de rares occasions, dans des rencontres internationales où l’UA est partie prenante, c’est grâce et à travers l’Afrique du Sud. «Il faut reconnaître aux dirigeants de l’ANC au pouvoir cette qualité: ils n’hésitent devant rien, et pour imposer leur agenda, tous les moyens sont bons», indique notre source. L’annulation du dernier sommet UA-Ligue arabe prévu le 11 novembre à Riyad, à cause de l’obstination du duo Algérie-Afrique du Sud d’y faire inviter l’entité fantoche, est encore dans toutes les mémoires.

Tout comme la sévère fin de non-recevoir opposée par le prince héritier saoudien Mohamed Ben Salmane, qui, séance tenante, a décidé de remplacer la rencontre entre les deux institutions par un sommet saoudo-africain, dont le Polisario & Co étaient naturellement exclus.

Sitôt le sommet arabo-africain de Riyad reporté, l’Union européenne (UE) a annoncé à son tour l’ajournement sine die d’une réunion ministérielle attendue le 20 novembre avec l’UA. En cause, entre autres, la présence attendue de la RASD à cet événement. Une preuve de plus que l’entité séparatiste représente désormais un handicap majeur à tout partenariat entre l’Afrique et le reste du monde.

Notons que, jusque-là, les réunions rassemblant autour de la même table l’UA d’un côté et l’UE ou la Ligue arabe de l’autre sont les seuls événements où la pseudo-RASD peut se frayer un chemin, puisqu’elles concernent des relations d’institution à institution. Encore membre de l’organisation panafricaine, bien que de plus en plus indésirable, la république virtuelle en profite pour se glisser dans le concert des nations.

Le constat, d’après cette source informée, est que l’UA est aujourd’hui prise en otage par la RASD, qui l’empêche de développer des partenariats avec des pays qui ne reconnaissent pas cette entité. Or, aucun pays ni aucune organisation avec lesquels l’Afrique est liée par des accords de partenariat ne reconnaissent le mirage séparatiste. Il en va ainsi de l’UE et de la Ligue des États arabes. Comme il en va de même pour des pays comme la Turquie, l’Inde, la Corée du Sud, le Japon, la Chine, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis ou encore les Émirats arabes unis. «À l’arrivée, nous avons une entité présente à l’UA et qui n’est reconnue par aucun des pays qui cherchent à développer des partenariats avec le continent. Cette seule réalité devrait pousser les pays africains à chasser ce corps étranger de l’institution continentale», explique cet observateur.

D’aucuns se souviennent à cet égard du fiasco total qu’a été la 8ème édition de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), tenue entre le Japon et le continent africain en août 2022, à Tunis. C’était quand le président tunisien Kaïs Saïed, sur incitation d’Alger et de Pretoria, avait accueilli le chef de la milice séparatiste comme invité, alors qu’il n’en avait pas le droit. Le seul résultat tangible de cet énième rendez-vous manqué a été… la précision apportée par le Japon qu’il ne reconnaissait pas la RASD.

Les affaires, une autre paire de manches

Autre terrain de jeu de l’Afrique du Sud, les BRICS, ce groupement économique du «Sud global» dont elle est membre. L’Algérie avait d’ailleurs tenté d’y faire son entrée, en vain. Pour rappel, les responsables des cinq pays des BRICS, en l’occurrence le Brésil, la Russie, la Chine, l’Inde et l’Afrique du Sud, ont révélé, fin août dernier à Johannesburg, l’identité des nouveaux membres de leur club restreint: l’Argentine, l’Égypte, l’Éthiopie, l’Arabie saoudite, l’Iran et les Émirats arabes unis. L’annonce de cette décision a eu l’effet d’un véritable choc à Alger. Mais qu’à cela ne tienne. «Le fait d’avoir fait circuler le nom du Maroc comme candidat à l’adhésion aux BRICS (rumeur démentie, NDLR) équivaut à une faveur voulant nuancer l’échec algérien en tentant de le confondre avec celui du voisin», explique notre source.

Mais que l’on ne s’y trompe pas. Si l’Algérie est un allié de circonstance pour Pretoria, c’est uniquement sur le registre de l’hostilité envers le Maroc. Dans les faits, il n’existe pas d’axe Alger-Pretoria. Les échanges commerciaux entre les deux pays sont quasi inexistants et l’Afrique du Sud se garde bien de défendre les intérêts de l’Algérie quand le Maroc n’est pas de la partie. En atteste, d’ailleurs, la candidature tonitruante de l’Algérie pour rejoindre les BRICS. L’Afrique du Sud l’a royalement ignorée, ne feignant même pas du bout de la langue de la défendre. Pretoria a en revanche défendu ardemment l’Arabie saoudite, qui ne marque pourtant pas d’enthousiasme à rejoindre les BRICS et s’est donné un temps de réflexion jusqu’à la fin de l’année avant de donner une réponse. Ce qui a vexé Pretoria et accentué l’humiliation d’Alger.

L’avenir jouera-t-il en faveur du Maroc? L’espoir est permis. L’hostilité de l’ANC n’a en effet d’égal que le profond respect que les autres forces vives de l’Afrique du Sud vouent au Maroc, ses réalisations et la confiance qu’il inspire. «À commencer par la communauté des affaires et les entreprises sud-africaines, qui sont non seulement asphyxiées par la corruption endémique qui règne dans leur pays, mais voient aussi dans le Maroc un potentiel énorme pour leur développement», souligne l’ancien diplomate. C’est le cas du géant des assurances Sanlam, qui a posé ses valises au Royaume en rachetant, en 2018, le marocain Saham Finances, pour la bagatelle de 1,05 milliard de dollars. C’est le cas également du géant de l’hôtellerie Kerzner International Holding, qui était derrière le Mazagan Beach & Golf Resort d’El Jadida. S’y ajoute un nombre conséquent de petites et moyennes entreprises.

Reste qu’à l’heure actuelle, l’ANC est fidèle tant à sa matrice qu’à sa prévarication. On notera que l’ancien président du pays, Jacob Zuma, a été condamné à 15 mois de prison pour corruption. Le même Zuma accuse à son tour l’actuel chef d’État, Cyril Ramaphosa, de trahison… et de corruption. On retiendra également que des secteurs entiers sont handicapés par ce phénomène galopant. Exemple en est la gestion de l’électricité. Dans le pays le plus développé d’Afrique, et dans de grandes villes comme Pretoria, les coupures de courant durent 5 à 6 heures en moyenne par jour. «En Afrique du Sud, toute la classe politique dirigeante ou presque est corrompue. Elle est donc achetable et l’Algérie n’hésite pas à sortir le chéquier pour s’assurer son alignement sur l’affaire du Sahara», conclut notre source. Corruption et intérêts géopolitiques sont ainsi de solides leviers pour alimenter l’hostilité sud-africaine envers le Royaume.

Par Tarik Qattab
Le 25/11/2023 à 08h05