L'éclairage de Adnan Debbarh. Le conflit en Ukraine, premiers constats

Adnan Debbarh.

Adnan Debbarh. . khalil Essalak / Le360

Cinq jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on peut, au vu des informations disponibles, établir quelques constats et tirer des premières conclusions. Afin d’éviter d’être victime de la désinformation et/ou du conditionnement nous allons privilégier les faits avérés.

Le 28/02/2022 à 16h42

Commençons par la situation sur le terrain. Déclenchée le jeudi 24 février 2022, l’invasion russe de l’Ukraine est partie de la Biélorussie au nord et de la Crimée au sud. L’objectif fixé: partager le pays en deux, du Nord au Sud, encercler les forces ukrainiennes importantes présentes à l’Est, au Donbass.

Dès les premières heures du conflit, les forces russes ont pu, grâce à leur supériorité dans la guerre électronique et leurs missiles, neutraliser la défense anti-aérienne et détruire la plupart des bases aériennes ukrainiennes. Les forces terrestres ont avancé sans trop de dégâts. Aujourd’hui la plupart des villes de l’Ukraine sont encerclées, dont la capitale Kiev. Les Ukrainiens opposent une résistance non dénuée de bravoure, face à un ennemi mieux équipé, mais qui ne souhaite manifestement pas détruire les villes. L’objectif russe étant jusqu’à présent de chasser le pouvoir en place, démocrate et pro-occidental, et d’installer un pouvoir vassal.

Le coup de force de Vladimir Poutine dérange: l’agression d’un pays voisin, l’Ukraine, visant à remettre en cause ses frontières et ses choix. La Russie, membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU de surcroît et puissance nucléaire a créé une situation inédite dans les relations internationales. En quelques jours, nous avons assisté à des bouleversements en Europe en matière de défense, l’étalage de sanctions économiques et financières qui vont faire, au-delà de la Russie, des gagnants et des perdants dans le camp occidental, enfin la Russie va s’éloigner de l’Europe pour se rapprocher de la Chine, gagnante sans coup férir, cette fois, de la confrontation.

La démonstration de force des Russes en Ukraine a provoqué un véritable électrochoc au sein de l’Union européenne qui avait cru, à l’exception de la France, pouvoir vaquer à son développement économique et déléguer à moindre frais sa sécurité aux Etats-Unis d’Amérique, grand partenaire au sein de l’OTAN.

Effrayée, l’Europe a dû se ressaisir en quelques jours, en prenant des initiatives courageuses: livraison d’armes létales à l’Ukraine par plusieurs pays membres; déblocage, une première, de 500 millions d’euros par l’UE pour l’achat d’armes et de carburant. 

La nouvelle la plus importante est venue d’Allemagne qui a décidé de se réarmer. Un budget de 100 milliards d’euros a été voté pour 2022 et 2% du PIB seront alloués annuellement à la défense, soit 92 milliards de $. L’Europe a décidé de prendre en charge sa sécurité. Prélude à une autonomie stratégique? A voir. Bénéficiaire collatéral: l’industrie d’armement américaine.

Nous avons déjà eu l’occasion de souligner que les mesures de rétorsions économiques et financières mises en place par les Etats-Unis et l’UE contre la Russie, vont impacter différemment les trois acteurs. Rappelons d’abord certaines mesures économiques: baisse des achats d’hydrocarbures de Russie, non-utilisation de Nord Stream 2 qui a coûté 10 milliards d’euros; blocus sur la livraison de pièces de haute technologie destinées au secteur pétrolier, l’aéronautique et autres; interdiction de l’espace aérien européen et américain. Le volet financier comprend: gel des transactions avec la plupart des banques russes et suspension du moyen de paiement interbancaire SWIFT.

L’économie russe va souffrir de ces mesures, elle connaîtra à brève échéance très probablement une récession. Si elle ne se résigne pas à une solution diplomatique acceptable pour les parties, elle rencontrera des difficultés à moyen terme. Certes, son cas diffère de celui de l’Iran, elle dispose de plus d’atouts, mais sa croissance va être impactée.

L’UE, comme premier investisseur en Russie et premier partenaire commercial, connaîtra, elle aussi, des retombées négatives: difficultés d’approvisionnement en gaz, renchérissement de certaines matières premières, baisse de la rentabilité de ses investissements en Russie, baisse des flux touristiques.

Les Etats-Unis s’en tirent mieux. Nouvelles perspectives de ventes d’armes, et avec un baril à plus de 60 $ elle assure la viabilité de son pétrole de schiste et de son gaz. Elle confirme sa position de leader du camp occidental.

La Chine sera une des grandes gagnantes de cette confrontation. Elle va profiter de l’incapacité de l’Europe, ces 20 dernières années, d'avoir pu établir des relations de bons voisinages et de confiance avec la Russie.

L’Europe n’a pas su gérer le nationalisme russe. Résultat des courses: le monde va connaître l’alliance de deux nationalismes qui n’ont plus de problèmes de frontières et partagent des systèmes politiques similaires. Les systèmes démocratiques ont perdu dans la Russie un grand allié potentiel.

Pour utiliser un langage imagé, les relations internationales ont connu ces derniers jours des mouvements tectoniques. Cela aura bien évidemment des incidences économiques et diplomatiques sur le Maroc. Armons-nous d’une bonne connaissance des réalités et faisons appel au génie » marocain.

Par Adnan Debbarh
Le 28/02/2022 à 16h42