Saluons d’abord la mise au point du roi Mohammed VI, nécessaire à plus d’un titre, dans son discours du 30 juillet 2022: il n’y aura pas de pause dans les réformes. Le Maroc, au vu des retards accumulés, prend en compte la contrainte temps, tout report est préjudiciable. D’autant que les réformes entamées, on se rend compte de plus en plus, en interpellent d’autres, plaçant le «système Maroc» en situation de cercle vertueux, lui permettant d’améliorer son fonctionnement, de générer croissance et développement.
L’ensemble des thèmes traités dans le 23e discours du Trône porte une préoccupation majeure: mieux outiller la société et l’économie pour réaliser les objectifs de développement.
Quel rapport entre réforme du Code de la famille et développement économique? La réforme ne visait-elle pas uniquement à donner plus de droits aux femmes dans le couple? Opter pour cette lecture de la réforme, c’est considérer la famille comme un groupe d’individus partageant un espace physique commun dont le but principal est d’assurer une fonction biologique: la reproduction de l’espèce, avec des rôles prescrits pour chacun dans le cadre d’un ordre de pouvoir établi. Conception appauvrissante qui ne sied pas, ne sied plus, à une société marocaine souhaitant s’engager dans la modernité. La famille doit désormais être un espace de reproduction et de transmission du patrimoine, certes, mais aussi un espace de socialisation, de solidarité, de consommation et de production.
La famille marocaine s’est inscrite, volontairement, dans la modernité, ces cinquante dernières années, en prenant acte des contraintes économiques liées à l’éducation des enfants et en réduisant le nombre de naissances. La chute vertigineuse du nombre d’enfants par couple en est la démonstration, de 6 à 2. La fonction éducation/instruction a gagné du terrain sur la fonction reproduction. Cette «transition démographique» a permis aussi de valoriser le statut de la fille, devenue égale au garçon dans la majorité des familles, grâce à l’instruction.
Valorisée, avec moins d’enfants, autonome, la femme pourra mieux remplir sa mission d’agent économique et contribuer à accroître le revenu familial et la richesse nationale. Le taux d’activité de la femme au Maroc, 21%, est anormalement bas, comparativement à d’autres pays de même niveau de développement. Le Nouveau Modèle de développement (NMD) conseille de le porter à 45% à l’horizon 2035, ce qui ne manquera pas d’avoir un impact positif sur la richesse de la collectivité.
Toute réforme doit prévoir ses outils de mise en œuvre, le discours royal a bien précisé qu’il y aura multiplication des tribunaux de la famille.
Les forces conservatrices qui s’opposent, profitant des positions qu’elles occupent, à la réforme du statut de la famille, en croyant bien faire, doivent bien comprendre que brimer une part substantielle des énergies d’un pays, c’est aller contre son développement et son bien-être.
La gestion de l’épidémie de Covid a accru la confiance des citoyens dans l’Etat, certains analystes sont allés jusqu’à parler de réconciliation de la société avec l’Etat. La mise à disposition des populations, en grande partie précaires, d’aides importantes et multiformes, avec un encadrement efficace de l’administration territoriale, ont convaincu les plus réticents que notre société a besoin d’un Etat fort doté de moyens humains et financiers conséquents. L’Etat providence -l’Etat protecteur ou Etat social- qui était dans le répertoire des réformes du roi Mohammed VI, est devenu une priorité pour parer aux fragilités de la société. Une des missions de l’Etat social est d’assurer la protection sociale à tous les Marocains. C’est une réforme d’envergure qui demande un élargissement des missions de l’Etat et la mobilisation de moyens financiers importants et continus. Son ampleur réside dans le nombre important des bénéficiaires, il s’agit de millions de citoyens, auxquels il s’agit d’assurer l’accès aux soins sans rencontrer d’obstacles financiers et de servir des allocations familiales. C’est une réforme qui nous place, par excellence, dans le cercle vertueux en nous obligeant, concomitamment, à accélérer la mise à niveau du système de santé, tendre vers la souveraineté sanitaire, améliorer la gestion des organismes financiers qui interviennent dans le secteur. La partie du discours du Trône consacrée à ce sujet nous a permis d’avoir une idée sur la méthode du Roi en matière de gestion des réformes. Loin des vœux pieux auxquels nous ont habitués plusieurs de nos responsables, nous avons eu droit à un planning: des objectifs chiffrés à réaliser à des dates précises, en contextualisant le tout.
Tout programme de réformes ne saurait être réaliste sans évoquer les moyens d’assurer son financement, autre leçon de méthode. Le gouvernement dispose de plusieurs sources de financement: la croissance, la réforme fiscale avec le nécessaire élargissement de l’assiette et les investissements extérieurs. Occasion pour le Souverain de mettre l’accent sur deux points essentiels: le Maroc n’exploite pas suffisamment les relocalisations internationales en cours, passant à côté d’opportunités réelles; le prochain Code des investissements doit être porteur d’éléments capables de rassurer l’investisseur en termes: d’équité dans le traitement des dossiers, de transparence dans les avantages accordés et de neutralité voire de désintérêt des commissions éventuelles d’études. Une réforme en attire une autre. Ce chantier pose une double interrogation: la problématique de la réforme de l’administration et la transparence de ses décisions -abandon de l’approche silo-, ainsi que la présence au sein de la décision publique de personnes incapables ou ne souhaitant pas différencier leurs intérêts privés et l’intérêt général.
Le 23e discours du Trône fera date. D’une grande densité, -le format de cet éclairage ne nous permet pas de traiter tous les points- il ouvre de nouvelles perspectives politiques, économiques et de société avec une méthodologie rigoureuse.
Il est d’usage chez beaucoup de chercheurs de louer un travail, en rappelant les poupées gigognes russes. L’idée principale donne suite à une succession d’autres idées toujours intéressantes. Il appartient à nos élites politiques de faire ce travail dans l’intérêt d’abord du pays et de l’amélioration de la qualité du débat politique.