La pauvreté et la vulnérabilité sont de retour, touchant pratiquement 10% de la population (Rapport HCP). Selon le Haut-Commissariat au plan, ce grand «basculement» qui a anéanti les efforts fournis par le Maroc pour éradiquer la pauvreté depuis 2014, est dû pour 45% à la pandémie et 55% à l’inflation. Les manifestations les plus apparentes de ce retour de la pauvreté sont une alimentation insuffisante (sous-nutrition) ou déséquilibrée (dénutrition). Le budget disponible dans certains ménages au Maroc ne suffit plus à acheter les aliments pouvant assurer les 1.984 kcal nécessaires au maintien de chaque personne en bonne santé.
C’est très certainement mû par ces inquiétudes que le gouvernement a décidé de s’attaquer au dossier de la sécurité alimentaire. Conscient des liens connus entre nutrition et situation sanitaire et des menaces bien réelles qu’encourt de ce fait la partie la plus précaire de la population. Le gouvernement est dans ses missions: assurer à l’ensemble de la population la disponibilité et l’accessibilité sur l’ensemble du territoire d’aliments variés à des coûts abordables, car il y va de la santé et de l’avenir de la population.
Au vu des multiples enjeux de la problématique «sécurité alimentaire», agricoles, sanitaires, environnementaux et économiques, il reviendra au Chef du gouvernement de traiter le sujet au Parlement dans une très attendue séance le 8 mai prochain. Enjeux majeurs et imbriqués, à aborder de manière systémique, où plusieurs départements ministériels sont impliqués. Enjeux agricoles: il s’agit de repositionner l’ensemble de la production agricole actuelle et future dans la perspective de la souveraineté alimentaire, de revoir le rôle des acteurs agricoles afin de répondre aux besoins essentiels de la population du Maroc. Enjeux sanitaires: revoir les conditions de production, en portant une attention particulière aux intrants chimiques, et établir les liens entre la fréquence de certaines maladies (situation épidémiologique) et le régime alimentaire. Enjeux environnementaux: dérèglements climatiques, économie et pollution des eaux, destruction de la biodiversité, décomposition des sols et dégénérescence des pollinisateurs. Enjeux économiques: accessibilité à l’offre alimentaire tenant compte des besoins physiques de la population.
Ce dernier point, l’accessibilité, se place dorénavant au cœur de la lutte contre la pauvreté. La hausse du coût des produits alimentaires a atteint ces dernières années des niveaux inégalés depuis fort longtemps (deux chiffres). C’est cette hausse durable qui impacte très fortement le niveau général des prix et bouleverse le budget des populations les plus précaires, les obligeant à réduire leurs achats alimentaires en quantité et en qualité. Pour les catégories les plus pauvres, elles n’ont plus droit à l’arbitrage entre différentes dépenses: tout ce qu’elles gagnent part dans la nourriture.
Au vu du caractère durable de ces tensions inflationnistes, la suppression de la compensation demeure-t-elle à l’ordre du jour? Elle est prévue pour 2024, d’après les dires du wali de Bank Al-Maghrib, mais le gouvernement semble résigné à repousser cette échéance, constatant les dégâts économiques et sociaux causés par l’inflation et encouragé par les positions récentes et plus conciliantes de la Banque Mondiale au sujet de la compensation.
Mieux, il envisagerait d’accélérer la mise en place d’aides ciblées, pouvant inclure la subvention des prix de 6 à 7 légumes, constituant les aliments de base du ménage marocain. La décision achopperait encore sur la population éligible d’abord. Faut-il se limiter à la population très pauvre (1,15 million) ou y ajouter la population vulnérable (2,05 millions). Le total est de 3,2 millions, selon les critères du HCP. Le chiffre de 3,8 millions semble plus plausible, l’enquête HCP datant de plus de six mois. Ce qui nous permet d’avancer que nous sommes face à 10% de la population.
La décision achopperait aussi sur le prix de base de ces légumes. S’agit-il d’un prix départ ferme, augmenté d’une marge «raisonnable» distributeur, ou allons-nous subventionner les intermédiaires spéculateurs?
Si ces décisions voient le jour, elles sont à saluer. Il est inconcevable qu’on puisse laisser des millions de Marocains sombrer dans la pauvreté et priver la société de leurs contributions physiques et intellectuelles au développement. D’autant que ces aides sont considérées maintenant par les organismes internationaux comme des investissements très rentables à long terme. Pour 1 dollar investi dans les aides alimentaires ciblées, le retour sur investissement à long terme est de 16 dollars pour l’économie et la société.
Reste la problématique du financement. Nombre d’indicateurs trahissent une embellie au niveau des recettes fiscales et de diverses autres contributions. C’est une tendance haussière qui s’installe. Faut-il y voir une meilleure disposition des contributeurs à l’égard de l’État? Les retombées positives d’une numérisation accrue de l’activité économique? La modernisation de l’administration fiscale? Ou peut-être la conjonction des trois facteurs? Peu importe. L’État dispose maintenant de moyens supplémentaires pour initier le chantier de l’éradication de l’extrême pauvreté dans notre pays. On peut avancer des chiffres, si nécessaire.
Nous demeurons convaincus que le gouvernement est conscient de la nécessité de renforcer notre front intérieur en ces temps où le Maroc est l’objet d’attaques perfides, voire donquichottesques, de pays que nos acquis internes et externes dérangent. Notre front intérieur se renforcera, très certainement, à travers une action concrète visant à sortir ces quelques millions de nos compatriotes de la précarité.
Nous formulons l’espoir que ce 8 mai fasse date.