Les campagnes digitales menées au Moyen-Orient, Marc Owen Jones en connaît bien des ressorts. Auteur de l’ouvrage «Digital Authoritarianism in the Middle East», il est spécialiste des réseaux sociaux, notamment de ce qu’ils comportent comme dangers, tels la désinformation et les fake news. C’est à ce titre que ce professeur associé à l’Université Hamad Bin Khalifa au Qatar s’est intéressé, cette fois, au Maroc. Sur Twitter, il a partagé son analyse du hashtag #Dégage_Akhannouch qui fait actuellement fureur dans le pays.
Chef d’un gouvernement issu d’une majorité ayant réussi à écraser le PJD (Parti justice et développement) dont le digital est, depuis fort longtemps, une des principales armes et homme d’affaires opérant notamment dans un secteur des carburants qui attise bien des colères, Akhannouch a donc tout pour «plaire»… à ses détracteurs.
La principale remarque de Marc Owen Jones, qui a passé en revue environ 19.000 tweets entre le 14 et le 16 juillet 2022, est que derrière le hashtag, se cachent un grand nombre de faux comptes, ce qui laisse entendre que la campagne est loin d’être spontanée.
Fait marquant, 522 comptes uniques ont été créés en une seule journée –le 15 juillet– sur un total de 796 créés le début du mois. Cela, alors que le nombre des créations de comptes s’élève en moyenne à 59 par mois. «Cela ne correspond à aucune règle», affirme le chercheur.
Pour lui, s’il est normal que de nouvelles personnes rejoignent Twitter dans les moments de crise, le nombre reste inhabituel s’agissant du hashtag objet de l’analyse. «Un examen plus approfondi de ces 522 comptes indique des similitudes comportementales qui indiquent une coordination ou une campagne d'influence. 98% de ces comptes se contentent d’envoyer des tweets» sans interagir, indique-t-il.
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En d'autres termes, plutôt que d'utiliser toutes les fonctionnalités de Twitter (RT, répondre, mentionner dans RT, etc.), les nouveaux comptes envoient exclusivement des tweets. «Alors que certains peuvent penser que c’est compréhensible, vu qu’il s’agit de nouveaux venus sur Twitter, ce n'est pas vraiment comme ça que ça marche», commente Marc Owen Jones. Et pour cause, les hashtags partagés indiquent une grande connaissance des rouages de Twitter et «une grande coordination. Nous sommes face à beaucoup d’anomalies qui travaillent de concert», signale le chercheur britannique.
Les comptes suspects ont également été actifs tout au long de la campagne. «Gardons à l'esprit que ce sont les fruits à portée de main (la partie visible, Ndlr), et il y en a probablement beaucoup d'autres», avertit le chercheur. Pour lui, le hashtag #Dégage_Akhannouch est donc clairement manipulé, même si nul ne sait ni par qui, ni dans quel but.