De nouveau, la vie politique nationale s’installe dans une séquence estivale: celle de l’atonie, de la torpeur aussi. Ce qui frappe, pour commencer, c’est bel et bien le retard qu’a pris le remaniement de ce cabinet. Au début du mois d’avril dernier, Aziz Akhannouch avait précisé que cette question était à l’ordre du jour et qu’il attendait la réponse de ses deux alliés, le PAM et l’Istiqlal. L’ex-secrétaire général du parti du tracteur et ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, avait répondu publiquement… qu’il allait garder son poste! Il avait invoqué à cet égard cette exigence: entreprendre et finaliser des réformes à l’ordre du jour (Code de la famille, Code pénal, Code de procédure pénale, peines alternatives, etc.). Est-il tellement irremplaçable pour sanctuariser ainsi son maintien jusqu’à la fin de la mandature de cet exécutif en 2027? Son nouveau statut -non-candidat pour un second mandat à la tête du PAM- ne pèse-t-il pas sur sa crédibilité et même sur sa légitimité pour mener à bien les tâches de son département? Par ailleurs, cela ne pèse-t-il pas sur la visibilité de son parti, désormais dirigé par un triumvirat coordonné par la ministre de l’Habitat, Fatima Ezzahra El Mansouri?
Du côté de l’autre composante de la majorité actuelle, la formation istiqlalienne traverse une situation plus délicate et plus complexe. À l’issue du 18ème congrès, tenu du 26 au 28 avril dernier, son secrétaire général Nizar Baraka, seul candidat, a été reconduit pour un second mandat. Le reste des instances reste problématique. Pour ce qui est du Conseil national, les vérifications ultérieures ont conduit à invalider une bonne centaine de membres qui avaient bénéficié de ce que l’on appelle dans notre vocabulaire politique «Al inzal», traduisible par «parachutage». En revanche, la composition définitive du Comité exécutif reste en suspens: quatre membres sont nommés par le secrétaire général et les trente autres ont fait l’objet, depuis plus de deux mois, de négociations passablement laborieuses entre, d’un côté, Nizar Baraka et les siens, et de l’autre les partisans de Hamdi Ould Errachid, en position de force depuis le 17ème congrès du PI en novembre 2017 (on lui doit la mobilisation pour faire élire Nizar Baraka face à au secrétaire général sortant Hamid Chabat). Un «deal» aurait été trouvé, dit-on, mais il reste à le prolonger au sein de la représentation dans le gouvernement. Le PI dispose de la présidence de la Chambre des conseillers depuis octobre 2021, en la personne d’Enâam Mayara, proche de Hamdi Ould Errachid. Son mandat s’achève à la prochaine rentrée parlementaire, dans trois mois. Il postule de nouveau pour sa reconduction jusqu’à 2027, terme normal des six ans de cette Chambre. Au sein de l’exécutif, le PI a quatre ministères avec Nizar Baraka et trois autres membres. Dans l’hypothèse d’un remaniement, ces derniers seront-ils maintenus? C’est peu probable: aucun d’entre eux n’est un istiqlalien pur suc et de surcroît, ils ne sont pas membres du Comité exécutif du parti.
Autant de paramètres cumulatifs qui renvoient l’éventualité d’un remaniement du cabinet actuel au mois de septembre. Qu’en sera-t-il alors à cette date? Pareille situation pèse sur le climat politique actuel et nourrit bien des interrogations. Opérer un changement dans l’exécutif dans ces conditions-là, est-ce vraiment nécessaire? Pour quoi faire? Les grandes lignes du projet de loi de finances pour 2025 seront déjà arrêtées. De nouveaux visages alors? Avec quelle valeur ajoutée?
Aziz Akhanrouch n’ignore certainement pas tous ces aspects. Il insiste surtout sur la solidité de la majorité. Le 26 juin dernier, il a ainsi réuni celle-ci avec les responsables de ses deux alliés pour réitérer «l’engagement à poursuivre la mise en œuvre du programme du gouvernement et à travailler à renforcer les chantiers de l’État social». À l’issue du Conseil de gouvernement du 4 juillet, des mesures ont été prises conformément aux engagements pris dans le cadre du dialogue social du 30 avril dernier (augmentation de 1.000 DH du salaire des fonctionnaires en deux tranches, réduction de l’IR, salaire minimum de 3.500DH dans la fonction publique…). Devant la Chambre des conseillers, le 9 juillet courant, le chef de l’exécutif a aussi insisté sur d’autres réformes encore en instance; il a ainsi estimé qu’il n’était «plus acceptable» que le Maroc reste sans loi organique sur le droit de grève et que le projet sera soumis au Parlement cette année. Mais il y a tout le reste: détérioration du pouvoir d’achat des citoyens, lutte contre la corruption, réforme profonde de la fiscalité, stimulation de la croissance pour réduire le chômage qui se situe autour de 13%, etc.
Un nouvel élan s’impose à l’évidence. En l’état, ce cabinet est-il en mesure de trouver en son sein des ressources politiques comme levier de réformes? Sa parole publique est-elle tellement audible? Fait-il preuve d’un réel volontarisme? La bonne volonté affichée et les annonces, oui sans doute. Mais quel impact et quelle crédibilité? Les citoyens et les opérateurs économiques attendent et veulent apprécier, pratiquement sur pièce, les gages de cette forme de gouvernance pâtissant d’essoufflement.